Éditorial
Voici donc les municipales de mars 2001, avec un étrange climat de fin
de règne au niveau parisien. Tous les sondages créditent la gauche dans le 10e
de scores plus que confortables. Nous avions pensé un moment, comme pour les précédentes
municipales, rencontrer les candidats en leur présentant un questionnaire complet
sur la vie locale.
Finalement, nous avons abandonné cette idée. Qu'aurions-nous
obtenu ? un déballage de langue de bois et de bonnes intentions électoralistes tellement
prévisibles que les répéter dans La Gazette aurait tenu du pléonasme. Les
lecteurs intéressés pourront se reporter aux programmes électoraux là où ils existent.
Alors, nous avons décidé de faire l'inverse. Au lieu de demander, nous proposons.
Tout d'abord, en recadrant le fonctionnement de l'arrondissement par rapport à la
Ville, et en reprenant quelques dossiers qui seront peut-être des enjeux de demain.
Les brèves
Grève à La Poste
Le 29 janvier, les agents du centre de distribution du courrier du 10e
arrondissement décident de se mettre en grève. Ce mouvement fait suite à la non
prise en compte par la direction de leur demande de huit postes permanents supplémentaires
pour assurer les tournées. Les syndicats reprochent le manque d'effectifs, la perte
de la qualité de service, des conditions de travail plus que déplorables, qui entraînent
un retard du courrier au quotidien.
Les 35 heures, l'évolution de la population
de l'arrondissement et le regain économique entraînent un accroissement des charges
de travail qui n'ont pas été prises en compte selon eux, et qui sont gérées par
un appel ponctuel à du personnel intérimaire.
Le mouvement est suivi par 80 %
du personnel selon les syndicats, et 50 % selon la direction.
Après une
semaine de négociations, où seuls les deux tiers des tournées ont cependant pu être
assurées, le mouvement s'est durci et certains habitants ont commencé à s'énerver.
Le 9 février, le bureau de poste entier a été fermé, même si la grève ne touchait
que la distribution, car le personnel était agressé par les clients mécontents.
La direction semble avoir voulu jouer le pourrissement.
Lundi 12 février au matin,
une première réunion s'achève sur un échec. Malgré des manifestations d'usagers
mécontents devant le bureau Saint-Lazare, les grévistes ne cèdent pas et décident
de continuer et de durcir le mouvement. Le soutien des postiers des autres arrondissement
a renforcé leur position et fait craindre une extension du mouvement. Dans l'après-midi,
coup de théâtre, la direction demande à nouveau à rencontrer les grévistes qui obtiennent
finalement gain de cause et décident donc de reprendre le travail. Il faudra une
quinzaine de jours pour que la situation revienne à la normale.
Ces nouveaux
postes permettront d'effectuer six tournées supplémentaires dès le mois de mars.
Mais où donc trouver une Poste ouverte ?
Jardin Villemin
De mauvais esprits ont cru constater un petit forcing sur les travaux du jardin Villemin (pour une inauguration avant le 11 mars ?). Mais cet objectif ne sera pas tenu. Madame météo en a décidé autrement : le sol est trop humide actuellement pour implanter le gazon. Mais le printemps devrait enfin voir le nouveau jardin ouvert. Les impressions sont mitigées, l'espace semblant plus aéré, mais avec une surface de pelouse libre réduite pratiquement de moitié. En contrepartie, il y a maintenant deux aires de jeux pour les petits, et un terrain double, basket et hand-ball, pour les ados. Un kiosque à musique revient pour les nostalgiques. Reste cette horrible ruine - l'autre, la crèche - qui gâche le paysage avec ses bâches à moitié arrachées et un doute demeure sur l'aménagement de la dernière parcelle (la "dent creuse").
La Gazette : "reine du politiquement incorrect"
Le numéro de Zurban du 31 janvier 2001 consacre un article aux journaux
de quartier, "plumes à gratter" des municipales. La journaliste en retient trois
sur Paris : la plus snob, la "Gazette de Saint-Germain-des-Pré", financée
par Pierre Bergé et Yves Saint-Laurent, on la croit sur parole ; La Page
dans le 14e, "contre béton et bagnoles", dont nous ne saurions que recommander
la lecture à nos lecteurs déménageant dans le 14e. Enfin, La Gazette
(du canal) est adoubée "reine du politiquement incorrect".
Nous ne résistons
pas au plaisir de vous offrir un petit extrait : "[…] Les lecteurs s'esclaffent
et les politiques eux, s'indignent… Avec de tels rapporteurs, impossible de passer
sous silence les projets qui fâchent […]". Ce qui bien entendu, nous ravit.
Nous avons cru détecter une certaine note d'envie dans le ton de l'article devant
notre liberté ("pas de pub, ni pressions financières, ils s'autofinancent […]
Ils usent avec gourmandise de leur liberté de blâmer") - sans laquelle rappelons-le
quand même, "il n'est point d'éloge flatteur".
En cette période de campagne,
nous avons pu entendre, parfois surpris, que des candidats de tous bords nous citaient :
notre plume gratte donc sans distinction.
Janvier chaud
Série noire dans le 10e en ce qui concerne les incendies en
ce début du mois de janvier 2001. Le 3, un incendie se déclare au quatrième étage
d'un immeuble de la rue Saint-Maur après une explosion due au gaz qui a soufflé
deux studios vétustes dans lesquels vivaient les victimes, deux retraités. L'électricité
avait apparemment été coupée dans l'un, suite à un dégât des eaux, et c'est sans
doute un branchement illicite qui a fait exploser une conduite de gaz.
Le lendemain,
gare de l'Est, le parking du sous-sol a été dévasté par un incendie que les pompiers
ont mis plus de deux heures à maîtriser. Le trafic des trains n'a été que peu perturbé.
Les causes de l'incendie sont inconnues, mais il pourrait être dû à un produit incendiaire
répandu sur des voitures.
Enfin, le soir de ce même jeudi, un homme de 48 ans
a trouvé la mort, boulevard de Magenta, asphyxié dans son appartement, après une
scène de beuverie. Une enquête est ouverte. La femme de la victime, découverte ivre
dans l'appartement, ne se souvient de rien, mais il semble cependant que c'est la
victime qui a allumé le feu.
Petite explication "entre hommes" : un mort
À la Coccinelle, petit restaurant de la rue Claude-Vellefaux, lieu habituellement
calme, tenu par des Yougoslaves et fréquenté essentiellement par leurs compatriotes
serbes de Bosnie, une bagarre, le jeudi 15 février, juste avant la fermeture, a
opposé un homme d'une trentaine d'années, connu des services de police, qui y avait
ses habitudes, à une demi-douzaine de clients.
Accoudés au bar, ces derniers
se sont un peu énervés au sujet d'un contentieux ancien et obscur, apparemment une
vague histoire de cigarette refusée. Le ton monte, un couteau sort, une bouteille
est brisée sur le comptoir dans la plus pure tradition du baston viril. Avec poings
et pieds, ils servent d'arme contre le trentenaire désarmé qui s'écroule atteint
de plusieurs coups de couteau et de tessons de bouteille. Le groupe s'enfuit alors
que les médecins de l'hôpital Saint-Louis mitoyen arrivent. Ils ne parviendront
pas à ranimer l'homme qui expirera dans le restaurant. Les six suspects en fuite
sont activement recherchés par la police.
"La Boutique", rue Beaurepaire
Le centre d'accueil pour toxicomanes "La Boutique" de la rue Beaurepaire
fonctionne maintenant depuis plus de trois ans. Il accueille actuellement une trentaine
de toxicomanes par jour, avec un bon renouvellement des populations et les premières
statistiques montrent qu'il remplit correctement la mission qui lui avait été assignée.
Une violente levée de boucliers avait cependant accompagné son ouverture :
ce centre allait faire courir aux enfants un risque insupportable, le quartier allait
devenir un coupe-gorge, le prix de l'immobilier allait s'effondrer et les commerces
seraient en faillite. Fait unique, une association favorable à "La Boutique" s'est
créée, conduite surtout par des mères d'enfants scolarisés alentour, excédées de
voir leur progéniture instrumentalisée dans ce conflit. Aujourd'hui, aucune de ces
prédictions alarmistes ne s'est vérifiée. La police n'a pas constaté d'évolution
spécifique des délits dans le secteur et l'immobilier est en hausse.
Une plainte
avait été déposée au Tribunal de grande instance contre "La Boutique", pour "trouble
excédant les inconvénients normaux de voisinage". Sa recevabilité avait été
questionnée mais elle a finalement été instruite et, plus surprenant, les plaignants
ont obtenu gain de cause en novembre 2000. L'association Charonne, gestionnaire
du lieu, après quelques hésitations, sa mission ne s'accommodant pas d'un regain
de la tension, a fait appel. Le Tribunal lui a finalement donné raison le 15 février,
estimant qu' "il n'est pas établi que le centre, ouvert du lundi au vendredi
de 10 heures (au plus tôt) à 18 heures (au plus tard), attire une population de
toxicomanes qui ne fréquentait pas auparavant la rue Beaurepaire". "La Boutique"
va donc pouvoir continuer son activité dans la discrétion et le calme qui sied à
ce type de prévention.
Espérons que, rassurée de son futur, elle puisse s'établir
fermement et disposer de moyens financiers et humains suffisants pour consolider
son action et la développer. La difficulté de ce type d'action, qui a pu être masquée
par le combat contre les oppositions extérieures, ne doit pas être sous-estimée.
Fragiles horodateurs
Marcel, jeune roumain de 14 ans sévissait sur les horodateurs du quartier. Avec un coup de main très sûr, il vous ouvrait ces petites boîtes pour en extraire les quelques pièces sonnantes et trébuchantes qui y traînaient. En quelques secondes, l'appareil crachait ses sous et Marcel pouvait filer, les mains dans des poches alourdies, laissant parfois le passant pantois devant la vitesse de l'intervention. Mais une nuit, dans l'impasse Bonne-Nouvelle, les policiers furent les plus rapides, et ils l'ont pris la main dans le sac (plus exactement la perceuse dans l'horodateur), avec, outre un outillage, près de 1 700 F en pièces sur lui. La police a interpellé l'an dernier plus de 2 000 de ces jeunes pilleurs, le plus souvent roumain, moldaves ou hongrois et mineurs.
Baston
Dimanche 28 janvier, un groupe d'adolescents âgés de 14 à 18 ans a agressé un adolescent de 16 ans, qui a été roué de coups de casque et de canne anglaise à l'angle de la rue Louis-Blanc et du quai de Jemappes, lui causant une dizaine de jours d'incapacité totale de travail. La police , alertée par des témoins, a arrêté les sept agresseurs présumés dans la cité de la Grange-aux-Belles. Placés en garde à vue, ils ont farouchement nié les faits, mais deux d'entre eux ont été trouvés en possession d'un casque et d'une canne anglaise pleins de sang. Cette agression fait suite à une bagarre entre bandes la veille au soir. Une trentaine de jeunes occupés à se battre avaient tenté ensuite d'en découdre avec les policiers venus pour tenter de les calmer. Cinq d'entre eux ont été interpellés.
La terreur de l'immeuble
Un toxicomane habitant dans un immeuble de la rue Chaudron, terrorisait depuis plusieurs semaines les voisins, les menaçant parfois d'un couteau ou d'un marteau. Avec ses compagnons de galère, il faisait pleuvoir insultes, voire coups, contre les habitants qui leur demandaient d'utiliser autre chose que la cage d'escalier comme lieu de consommation. La brigade de la police urbaine de proximité (PUP) a mis fin à ses agissements et il a été écroué à Fleury-Mérogis.
Homme en noir, silhouette blanche et Korrigans…
Période municipale oblige, nos murs fleurissent de personnages en tout genre,
certains nous promettent monts et merveilles alors que d'autres nous émerveillent.
Vous les avez peut-être aperçus dernièrement sur les bords du canal, le bonhomme
blanc de Jérôme Mesnager peint en quelques coups de pinceau accompagné de l'homme
en noir de Nemo réalisé au pochoir. Ils nous interpellent au coin d'une rue ou sur
le pont tournant de La Grange-aux-Belles déposant un bateau en papier dans les eaux
du canal, nous mènent en pirogue, s'installent près du cadre d'un but de foot tracé
par quelques jeunes en mal d'espace pour pratiquer leur sport favori ; l'homme
en noir, la fleur au coin des lèvres, y était adossé l'air rêveur, l'homme blanc,
installé sur la transversale avait un air moqueur.
Mais de qui se moquait-il ?
Sans doute de la brigade des "Korrigans" (entreprise privée sous-traitée par la
mairie de Paris pour le nettoyage des graffitis) qui ne les épargnent pas. À coup
de Karcher, de brosses, de lessives, de peinture, les Korrigans traquent tout ce
qui ressemble de près ou de loin à un graffiti. Rien ne leur échappe !
L'homme
en noir et l'homme blanc n'occupent pourtant que des espaces délaissés, des bâtiments
voués à la démolition, des murs gris qui attristent le paysage urbain. Leur présence
figure une scène telle une vignette de BD où chacun peut donner libre cours à son
imagination. Ils nous transportent, nous promènent, nous interpellent mais cherchent
avant tout à nous faire voir la ville sous un autre œil. à l'Hôtel de Ville, on
les apprécie aussi ! mais on préférerait les voir s'installer dans des espaces
réservés. L'homme blanc et son compagnon en cage ou au musée, cela aurait-il encore
un sens ? Certes, à propos de son art, Nemo dit : "Aujourd'hui,
je te salue, je te surprends, demain je n'existerai plus, j'ai l'avantage matériel
de pouvoir disparaître avant d'être oublié, ou avant de devenir par la force de
la routine, invisible pour toi".
Cependant, messieurs les Korrigans, vous
qui dans les légendes hantez les grèves et les landes bretonnes, laissez donc nos
deux personnages nous surprendre dans nos quartiers et ce, pour notre plus grand
plaisir.
Jean-François Pierre
Municipales : les associations rencontrent des candidats
Jeudi 8 février, une vingtaine d'associations appartenant au comité d'initiative et de consultation (CICA) du 10e arrondissement avait invité quatre des principales têtes de liste aux élections municipales à rencontrer les représentants des associations de l'arrondissement au Paris Ciné, boulevard de Strasbourg.
Sur les quatre têtes de liste invitées étaient présents : Tony Dreyfus (Changeons
d'ère), Véronique Dubarry (Les verts) et René Le Goff (Soyons fiers de Paris). Marie
Hélène Bry (Ensemble pour Paris) s'était excusée, car retenue ce soir là par la
réunion organisée par Jean Tiberi pour présenter ses têtes de liste à la presse.
Près de 200 personnes représentant un éventail très large des associations de l'arrondissement
sont venues débattre avec les candidats. Les discussions furent animées mais courtoises
de bout en bout.
La première thématique abordée par les associations fut celle
de la démocratie participative locale. Les trois candidats se retrouvaient pour
défendre un renforcement de la démocratie participative avec cependant des différences
quant au champ d'application et aux moyens alloués à cette participation des citoyens
à la vie politique de l'arrondissement. Ainsi la gauche plurielle et les Verts sont
en faveur d'une intervention des conseils de quartier sur les orientations budgétaires,
y compris les investissements gérés par le conseil d'arrondissement. Un budget de
fonctionnement des conseils de quartiers a été proposé par le candidat Tony Dreyfus.
Le même proposait un élargissement du rôle du CICA avec la possibilité de déposer
des projets de délibération au conseil (ce qui est déjà possible dans le cadre de
la loi PML telle qu'elle existe aujourd'hui).
Le thème de la vie quotidienne
dans le 10e a permis d'aborder de multiples questions allant du nombre
de places en crèche (150 à ce jour dans le 10e pour 1500 demandes) à
la circulation automobile en passant par
les centres d'animation. Si les trois
candidats se retrouvaient sur la façon de gérer les centres d'animation de proximité
(appel d'offre sur cahier des charges, gestion par une association), les divergences
devenaient totales quant à l'opportunité d'accueillir dans le 10e des
appartements thérapeutiques pour toxicomanes. Sur ce dernier point Véronique Dubarry
et Tony Dreyfus appuyaient fermement une telle proposition en rappelant la réussite
du centre d'accueil pour toxicomanes de la rue Baurepaire qui, malgré l'opposition
d'une partie des riverains, s'était très bien intégré dans le quartier alors que
René Le Goff s'y montrait radicalement opposé.
La soirée a bien sûr permis aussi
de parler de l'aménagement du couvent des Récollets, de celui de l'ancien hôpital
Saint-Lazare et du bâtiment occupé par le Point P en bordure du canal Saint Martin.
Représentants d'associations et candidats étaient conscients que la façon dont ces
trois lieux seront aménagés aura un impact important sur la vie de l'arrondissement.
Enfin le thème de la sécurité prévu en troisième partie n'a été que très peu abordé
sans doute faute de temps mais aussi faute d'envie de la part des participants.
Mais, comme le soulignait Véronique Dubarry, il était au centre de la plupart des
discussions, la prévention de ce type de problème reposant beaucoup plus sur l'existence
de liens entre les habitants d'un quartier, sur l'opportunité de se connaître et
se rencontrer, sur la participation effective aux affaires du quartier, que sur
la répression.
Au total, deux heures de débats passionnants et passionnés ont
permis aux associations du 10e d'entendre les candidats parler de leurs
projets sur l'arrondissement de façon très concrète. Les candidats ont semblé apprécier
cette initiative des associations somme toute assez originale sur la place de Paris.
Un pot de l'amitié a suivi la réunion et c'est jusqu'à une heure tardive que les
discussions se sont prolongées.
Hubert Isnard
V. Dubarry, T.
Dreyfus et R. Le Goff à l'écoute de la salle.
Séguin campagne
Quand M. Séguin campagne dans notre arrondissement, il choisit la gare de l'Est comme champ de bataille. Non pas que cela le rapproche d'Épinal, mais pour prendre en marche le train de l'environnement. En effet, cet harmonieux ensemble architectural est devenu aux narines des riverains un bastion de pollueurs abritant dans ses douves des machines diesel d'une autre époque. Depuis peu, les citoyens dressent le siège et bordent leurs étendards sur les remparts de Lafayette, noire de suie sur les façades. Pour se lancer dans la bataille de l'air propre, les troupes de M. Séguin ont sonné les trompettes du rassemblement.
Quelques jours auparavant, au marché St-Quentin ses fidèles troubadours distribuaient
des parchemins précisant le lieu et la date : 15 janvier, hôtel relais Est,
salle Matignon. J'y suis allé, naturellement, le thème m'intéresse : l'environnement,
un sujet très en vogue ; on en parle beaucoup depuis la fin du siècle dernier.
Et puis, je dois l'avouer, j'avais envie de découvrir ce lieu. Tapis rouge dans
l'escalier, vestiaire à l'entrée, personnel en tenue, l'endroit est classique, presque
chic. L'affaire doit être sérieuse, vu l'allure des convives : imperméable,
cravate, costume de bureau, visage aussi détendu que dans une réunion de copropriétaires
venus pour voter l'ascenseur.
On se salue poliment, on s'excuse de déranger pour
accéder à un siège et on tend l'oreille pour écouter.
Trois discours, sinon rien
M. Marcus prit la parole pour annoncer qu'il terminait sa carrière : place
aux jeunes ! Puis il dressa le bilan des décennies où il détenait la mairie
du 10e. N'oublions pas que c'est lui qui gagna la guerre de l'autoroute
sur le canal dans les années 70. Depuis l'eau a coulé dans les écluses et nombreux
sont les anciens combattants qui réclament une médaille pour la piétonisation du
canal le dimanche. Fair-play, M. Marcus évita de trop médire sur l'équipe qui lui
a ravi le fauteuil de maire. Sous les applaudissements, l'ancien baron rejoignit
la table des cadres. Une jeune femme lui succéda sur l'estrade, Antinéa Lladser,
deuxième place sur la liste RPR. Elle constate que les trottoirs sont plus dégoûtants
depuis que l'équipe actuelle est aux commandes, le débat vole bas. Après quelques
petites phrases assassines, elle libère le perchoir pour le numéro un, René Le Goff.
Il commence par remercier ses amis du sport venus l'assister - il paraît que ce
fils d'un honorable boucher est aussi un grand sportif. "L'affaire Beaurepaire ?
- une maladresse de M. Dreyfus", fit monter l'applaudimètre dans la salle
et déchaîna les passions. Manifestement c'est un bon argument pour exalter l'auditoire.
L'orateur continue sa descente, nos rues sont si sordides et glauques qu'elles inspirent
Tardi pour ses dessins1. Donc, selon lui, cet arrondissement est aussi
noir qu'une bande dessinée, mais trop coloré comme un étalage d'épices, j'ai un
peu de mal à suivre, de quoi devenir chèvre aussi.
Sans doute me suis-je trompé
de meeting : j'ai plus entendu M. Le Goff parler des loups qui rôdent autour
de la bergerie que de problèmes d'environnement. Enfin, s'il paraît que des loups
envahissent Paris, c'est un signe que l'écologie avance.
Le rêve du chef
Enfin, le commandant en chef installe sa carrure au perchoir. Le débat prend un peu de largeur et de hauteur. S'il est élu : dans 6 mois les machines diesel seront chassées hors des murs de la ville. S'il est élu : on pourra se promener sur le périphérique recouvert d'espaces verts. S'il est élu : la rue va retrouver son caractère de partage, les rollers et trottinettes auront disparu de nos trottoirs. C'est beau comme une chanson de Francis Cabrel. M. Séguin a raison quand il affirme que le rêve n'est pas réservé uniquement aux écologistes. Dommage, les camarades Verts n'étaient plus dans la salle pour applaudir, repoussés par le service d'ordre après une petite séance de chahut. Le député d'Épinal continue à distribuer ses belles images.
Gérald Masnada
1 : Léo Malet "M'as - tu vu en cadavre ?" - (Nestor Burma dans le 10e arrondissement), illustré par Tardi, éd. Casterman, Paris 2000.
Antinéa
Lladser, Philippe Séguin et Réne Le Goff, salle Matignon, le 15/01/01.
À la mémoire des enfants juifs des écoles du 10e arrondissement, déportés et jamais revenus
Après des recherches menées par des groupes de travail de l'association AMEJD 10 (Association pour la mémoire des enfants juifs déportés du 10e) à la fois dans le livre de Serge Klarsfeld, Le mémorial des enfants juifs déportés, et dans les registres d'inscription des enfants dans les écoles du 10e, il a été relevé les noms de plus de 500 enfants qui habitaient notre arrondissement, fréquentaient ses écoles, qui ont été déportés et assassinés dans les camps nazis.
Le 25 novembre 2000, une émouvante cérémonie réunissait le corps enseignant,
les élèves, leurs parents, les anciens combattants, des associations de l'arrondissement,
des élus et des habitants du 10e, pour apposer des plaques commémoratives
de la déportation des enfants juifs dans cinq écoles : Les maternelles Pierre-Bullet
(75 élèves) et Legouvé (autrefois Marseille, 32 élèves) les groupes élémentaires
Marseille (34 élèves), Récollets (24 élèves), et Vinaigriers (aujourd'hui Collège
Louise-Michel, 29 élèves), soit au total pour ces établissements : 190 élèves
déportés.
Successivement,
ont étés placées dans chacune de ces écoles une plaque à l'intérieur avec les noms,
prénoms et les âges des enfants l'ayant fréquentée avant d'être déportés, et une
plaque à l'extérieur avec un texte général nous rappelant la mémoire de ces enfants
(voir la photo).
Des discours, la lecture des noms et un grand recueillement
ont accompagné chacune de ces célébrations.
La commémoration s'est terminée dans
le groupe scolaire des Récollets où, en plus des plaques pour les enfants juifs,
a été redéposée et dévoilée une plaque, retrouvée dans l'école, à la mémoire de
Pierre Hays, 16 ans, élève de l'école, fusillé pour fait de résistance.
La chorale
des enfants a entamé en son honneur le chant "Le temps des cerises", l'harmonie
des anciens combattants de la CAFAC a fait retentir "La sonnerie aux morts" alors
que s'abaissaient les drapeaux.
Dans le préau de l'école où s'étaient rassemblées
plus de 300 personnes, on a ensuite entendu des discours officiels, des poèmes sur
les enfants déportés et des chants de la chorale "Mit a Tam".
Mais ce travail
de mémoire n'est pas encore terminé, des plaques identiques vont également être
apposées fin avril dans six écoles du quartier Saint-Louis pour 250 élèves déportés,
et en novembre dans les écoles des quartiers Saint-Denis et Saint-Vincent-de-Paul
pour 200 élèves, tous partis du 10e vers les camps de la mort.
Jeannine Christophe
Des idées en friches
Rue Juliette-Dodu, une parcelle abandonnée depuis des années est devenue un microcosme des dysfonctionnements de l'administration parisienne. Regard loufoque sur une situation à la Courteline.
Derrière de grandes palissades apparaissent de beaux arbustes.
Ils ont poussé de façon sauvage. Leur taille montre que le terrain est à l'abandon
depuis fort longtemps. Partant du constat que l'arrondissement est celui qui a le
moins de jardin, l'équipe des élus en place depuis 1995 dans le 10e envisage
rapidement d'en faire un espace public. Les Verts expriment le même désir en organisant
des manifestations sur place. Dans un premier temps, la réponse de la mairie de
Paris consiste à dire que ce n'est pas possible, d'une part parce que le propriétaire
de ce terrain privé ne veut pas vendre, d'autre part parce qu'il s'agit d'un terrain
constructible, donc excessivement cher. En 1999, un permis de construire pour une
maison de retraite privée et luxueuse est déposé. Le conseil d'arrondissement, dont
le rôle n'est que consultatif, donne aussitôt un avis défavorable. Mais coup de
théâtre ! la mairie de Paris change son fusil d'épaule et accepte l'idée d'un jardin.
Toute la mairie de Paris ? Non ! Pendant que la Direction du Logement et
de l'Habitat fait savoir qu'elle instruit une reconnaissance d'abandon manifeste
de parcelle, la Direction de l'Aménagement Urbain et de la Construction instruit
une demande de permis de construire pour une maison de retraite.
Que s'est-il
passé ? Mauvaise coordination entre des services qui ne communiquent pas ou conflit
d'intérêt et de personnes ? Règlement de compte ? Michel Ottaway, maire adjoint
du 10e a posé une question au conseil de Paris de janvier 2001.
Le
prochain maire de Paris, quel qu'il soit, arrivera t-il à contrôler les dysfonctionnements
d'une administration que certains comparent aux lourdeurs de l'ex-gestion soviétique ?
Il aura du pain sur la planche. En tout cas, pour le terrain de la rue Juliette-Dodu,
il pourrait concilier tout le monde en créant la première maison de retraite végétale
de la capitale.
Benoît Pastisson
Ouverture d'une Maison de la justice et du droit dans le 10e
Depuis le 12 février, une Maison de la justice et du droit (MJD) est ouverte
dans le 10e arrondissement. Une cinquantaine fonctionne en France et
trois sont prévues à Paris. La première est ouverte depuis novembre 1999 dans le
14e, la seconde, couvrant l'Est parisien a été inaugurée le 8 février,
la troisième et dernière ouvrira en juin dans le 17e arrondissement.
Le projet est en gestation depuis plus d'un an et Tony Dreyfus s'est battu dès le
début pour que la MJD de l'Est soit située dans le 10e. Il a finalement
obtenu gain de cause.
Les MJD sont des structures de proximité gratuites, dépendant
du Tribunal de grande instance, institutionnalisées par la loi du 18 décembre 1998
relative à l'accès au droit et au règlement amiable. Elles regroupent dans une même
structure différentes familles de professionnels du droit (magistrats, fonctionnaires
de justice, avocats, huissiers, médiateurs et conciliateurs de justice) et des associations.
Les MJD ont trois missions :
- assurer une présence judiciaire de proximité,
pour prévenir et répondre de manière adaptée à la délinquance quotidienne ;
- faciliter l'accès à l'information pour tous et permettre à chacun de mieux
connaître ses droits et les faire valoir au quotidien ;
- favoriser le
règlement à l'amiable des petits litiges et des conflits inhérents à toute vie en
société.
La MJD du 10e est placée plus particulièrement sous le signe de la famille et de la parentalité, mais les usagers y ont accès gratuitement à tout type de renseignement juridique. Elle fait une part particulièrement importante aux associations, très impliquées dans cette partie de la capitale. Une quinzaine d'entre elles, agissant dans la lutte contre la discrimination raciale, le droit au logement ou la médiation familiale, etc., y tiendra des permanences.
Inauguration
de la MJD : Marylise Lebranchu, Tony Dreyfus et Jean Tiberi.
Pratique
Maison de la justice et du droit
15-17 rue du Buisson-Saint-Louis
Tél. : 01 53 38 62 80
Heures d'ouverture
du lundi au vendredi
de 9h30 à 18h30.
Consultations thématiques sur le règlement des litiges avec l'administration,
l'aide aux victimes et le droit des étrangers, le droit du travail, de la
famille, la consommation et les petits litiges ou le logement, etc. Sur
rendez-vous.
Toutes les consultations sont gratuites et confidentielles.
Des antennes plein la tête
Avec la multiplication des téléphones portables, les antennes-relais fleurissent sur les toits de Paris. Certaines études laissant penser qu'elles pourraient être un danger pour la santé, la contestation se développe. Dans le 10e, deux antennes mobilisent les riverains.
Depuis le 30 janvier 2001, la ville de Vallauris, dans le sud de la France a
interdit l'installation des relais de téléphones cellulaires pour des raisons de
santé publique. De son côté, la célèbre Lloyds, sur les bases du rapport Preece,
a refusé d'assurer les compagnies de téléphonie mobile. Motorola, le principal industriel
mondial d'appareils radio, déclare dans l'un de ses manuels qu'aucune partie du
corps ne doit se trouver à moins de 20 centimètres d'un portable en action (sic).
Des experts considèrent que les personnes les plus sensibles à ces rayonnements
seraient les enfants et les personnes âgées. Or, dans le 10e arrondissement,
une antenne a été installée à proximité de l'école maternelle Parmentier, une autre
juste en face de l'école maternelle Legouvé… sur un immeuble appartenant à l'OPAC
(office HLM de Paris). Les directeurs de ces deux établissements ont informé la
Ville de Paris, et une association de quartier, L'ADIL, se mobilise pour que le
principe de précaution soit appliqué.
Certaines données montreraient que le plus
gros risque encouru se situe au niveau du cerveau : les perturbations des flux électriques
pourraient entraîner certains troubles des activités mentales pouvant conduire au
développement d'un cancer. Or la France est un des pays les plus laxistes en matière
de normes. Elle ne tient compte que des effets thermiques (les tissus vivants subissent
des échauffements), pas des effets athermiques (intensité de champ et modifications
de ces mêmes tissus).
Certains scientifiques recommandent que les antennes relais
soient installées à plus de 140 mètres d'un local habité. Le rapport Cherry fixe
la distance à 300 m. En Australie, la loi oblige 200 mètres, au Royaume Uni 500
m, en Pennsylvanie 600 m ! En France, aucune règle minimale n'est imposée aux
opérateurs. Les habitants qui sont au dernier étage d'un immeuble concerné peuvent
donc se retrouver à moins de 10 mètres d'un émetteur, avec un rayonnement permanent.
Les études restent encore contradictoires, mais des rapports soulignent un risque
potentiel.
L'absence actuelle d'une législation solide pourrait rapidement avoir
des conséquences lourdes. Car, une chose est sûre : les petits enfants n'aspirent
pas à ce que leur tête finisse comme celle de Jeanne d'Arc.
Benoît Pastisson