La Gazette du Canal n° 26 - Dossier

(automne 2000)

Le journal de tout le 10e arrondissement de Paris

Errances et rencontres

La Gazette semble être soudain prise d'une envie de route… Est-ce l'entrée dans l'hiver qui veut cela ? Toujours est-il que ce numéro incite au voyage.
Première étape, s'équiper et rencontrer quelques voyageurs, du réel ou de l'imaginaire pour avoir quelques informations pratiques. Lire attentivement tous les guides du quartier pour savoir comment fonctionnent les populations locales et quelles sont les us et coutumes de ces tribus.
Enfin, le grand départ. Au programme, visite des sites et des lieux du quartier avec un autre regard. La place Sainte-Marthe, les terrasses du passage Brady, les statues du quartier, et la cour des Petites-écuries, comme un rêve. Embarquez donc avec nous…



Une invitation au voyage

Hier, samedi, vous vous êtes couchée tôt, fatiguée par une semaine pluvieuse et nerveuse au boulot, pas envie de sortir. Forcément ce dimanche d'octobre vous vous êtes réveillée avant l'heure, les idées floues, un peu bizarre. Mélancolie et envie de rien vous entraînent sous la couette lorsqu'un rayon de soleil vient subitement contrarier ce souhait…

Ce trait de lumière dorée s'intercale entre les immeubles des numéros pairs de la rue des Deux-Gares et pénètre dans votre chambre sans effraction en se faufilant entre les rideaux mal fermés. Ce spot céleste tombe juste sur une statuette précolombienne en obsidienne posée sur la bibliothèque à côté d'un roman de Garcia Marquez. Sous la poursuite divine, ce bibelot pour touriste offert l'été dernier par un ami voyageur reprend sa place parmi les divinités aztèques, les adorateurs de l'astre de feu. L'image est mystique, c'est un signe du ciel : pas question de rester cloîtrée, il faut sortir.
Mais pour aller où ? Justement à l'autre bout de l'arrondissement, place Sainte-Marthe, les habitants vident leurs greniers, bien mieux qu'une brocante pour chiner. Vous voici au milieu de ces objets hétéroclites oubliés par leur propriétaire au gré des successions. Dans une vieille caisse en bois un vieux bouquin entamé par les souris tend ses pages dorées aux passants. Le titre est inconnu, un récit de voyage par un écrivain oublié des livres de littérature. Le soir même cet ouvrage partage un bout d'étagère avec la statuette et les livres de poche. Un bout de papier jauni dépasse du format, vous l'ôtez et entamez sa lecture. Bingo ! Sur une lettre manuscrite une croix indique l'emplacement d'une mine de métaux précieux enfouie dans la jungle sud-américaine. La fièvre de l'or vous envahit, pourquoi ne pas vérifier sur place ? Il vous reste quelques économies et des congés à solder.

Le billet

Comment préparer subitement un tel voyage ? Facile dans le quartier des gares. Pour commencer, rendez-vous à La case départ au 66, bd de Strasbourg, cette agence de voyage ne paye pas de mine et ne figure dans aucun guide, pas besoin. Ces employés ne décrocheront pas la lune pour vous mais réussiront certainement à vous faire embarquer pour Bogota, Mexico ou La Havane sans vider votre coffre. L'Amérique du sud n'est pas leur seule spécialité, il suffit de regarder la clientèle pour comprendre que l'Afrique est bien placée. Certes il y a souvent du monde, mais en attendant un siège profitez-en pour glaner quelques renseignements sur votre destination. Il y aura sûrement un latino pour faire causette et qui vous invitera à danser le soir même. Le billet d'avion est prêt, les lettres OK face aux numéros de vol l'attestent.

S'équiper

Mais les vêtements, vous y avez pensé ? On ne part pas à la recherche d'une mine d'or au Guatemala habillée comme pour une promenade le long du canal. Il s'agit plus d'une question de confort que de la couleur d'un chemisier assorti aux chaussures. Ne courez pas dans tous les sens, foncez plutôt à Tous azimuts une boutique coincée entre les rues d'Alsace et Lafayette, au 166 exactement. Le patron est un redoutable vendeur, bien meilleur que les commerçants du grand bazar d'Istanbul. Très sympathique, du chapeau tropical au pantalon en toile légère en passant par les accessoires anti-moustiques, il vous fera tout essayer sans rechigner et surtout sans vous forcer la main, c'est agréable. Il n'est pas nouveau dans le quartier, cela fait déjà plus de 10 ans qu'il vend ses chemises tropicales entre les gares. Si vous engagez la conversation, prévoyez une bonne heure.

Les devises

Reste les devises, la carte Visa ne suffit pas, il faut se munir de petite coupures en dollars, le billet vert mondialement reconnu pour les pourboires, petits ou gros. Les " change money ", généralement tenus par la communauté indienne, sont nombreux autour de la gare du nord. Il vaut mieux s'en écarter légèrement pour voir le cours chuter. Remontez le bd de Magenta, au 123, Extra exchange Co pratique le meilleur taux pour la monnaie américaine. Ne pas hésiter à marchander selon la somme et le type de paiement, cash ou carte, ce n'est pas pareil dans ce genre de négoce.

Étudier la faune

Une mine d'or cela se mérite, sûr que de vilaines bestioles seront de la partie. Les rampants vous répugnent et vous avez la phobie de toutes ces créatures hideuses qui prolifèrent sous ces latitudes. Ne perdez pas espoir, continuez votre chemin jusqu'à la rue de Dunkerque. Au 43, juste en face d'une boutique ravissante d'objets en bois exotique sculpté, une centaine de reptiles et gros insectes vous attendent pour échanger des gros câlins, histoire de vous habituer aux contacts froids de leurs écailles. Philippe, le patron de reptile World, vous parlera du Candoia aspera ou du Stenophis arctifasciatus, un ravissant serpent orange et noir de 50 cm, rien à coté d'un Lampropeltis hondurensis qui aura un peu de misère à étaler son mètre trente sur vos plantes de salon. Ne vous inquiétez pas, vous ne trouverez pas le dangereux Crotalus lepidus. Pas de venimeux dans cette boutique, Philippe tient à cette règle. Admirez les lézards, vous ne pourrez plus traiter ces pauvres animaux de sales bêtes. Si vous décidez d'offrir un animal de compagnie à votre voisin du dessus, il faut savoir qu'un iguane est plus silencieux qu'un chien et ne laisse pas de vilaines traces sur les trottoirs de la rue de Valenciennes.

Lire

En sortant de Reptile World, traversez la rue. Orendi, une nouvelle librairie vient d'ouvrir ses portes sur le monde, les voyages seront la spécialité du lieu, pour l'instant les étagères sont un peu vides mais les commandes vont arriver. Le patron s'oriente plus vers les récits et roman d'écrivain voyageur ainsi que sur les ouvrages à images plutôt que les guides touristiques. Il a également quelques bonnes idées dans la tête, nous en reparlerons dans un prochain numéro. Vous voilà prête à endosser le costume d'Indiana Jones, avant de décoller, allez fêter ceci sur une salsa endiablée à la Casa 128, au même numéro de la rue Lafayette. N'oubliez pas, pour Charles-de-Gaulle, direct de gare du Nord, il y même une annexe de l'aéroport sur les quais du RER. Ah, j'y pense, à votre retour si vous ne savez pas comment vous débarrasser de votre or, contactez La Gazette du Canal qui transmettra.

Gérald Masnada



Terrasses interdites, passage Brady

Créé en 1828, puis amputé de sa rotonde lors du percement du boulevard de Strasbourg, le passage Brady, devenu le temple de la restauration et du commerce indo-pakistanais est actuellement en assez piteux état.
Deux tentatives d'intervention publique pour transformer le passage ont été des échecs : l'enquête publique diligentée en 1994, et dont les conclusions tendaient, par un POS (plan d'occupation des sols) spécifique, à réordonnancer le passage comme à l'origine n'a pas été suivie d'effet, pas plus que l'entrée volontariste de la ville de Paris, par l'intermédiaire de la SIEMP dans la copropriété du passage ; SIEMP qui, par ailleurs, ne ravale même pas l'immeuble qu'elle y possède.
Il faut attendre 1998 et la nomination d'un syndic bénévole pour voir bouger les choses. Tout d'abord, la verrière va être refaite à l'identique (après dépôt d'une demande d'autorisation de travaux ayant entraîné quelques démêlés avec l'architecte-voyer du 10e) pour un coût global de 2 MF.
Enfin, une procédure avait été engagée à l'encontre des commerçants et restaurateurs du passage pour que soit rendu aux riverains l'espace qu'ils avaient " kidnappé " au regard d'une réglementation qui interdit étalages et tables. Les commerçants, condamnés à retirer tables et étalages, ont décidé de faire appel. Un compromis pourrait cependant être trouvé qui permettrait un partage plus équitable (et peut-être contre rémunération) des espaces de circulation entre riverains, commerçants et restaurateurs.

Jean Marandon



La place Sainte-Marthe en péril ?

Les secousses qui ont agité la place Sainte-Marthe cet été, et qui risquent de se reproduire l'an prochain, sont un exemple de la grande complexité de la vie de la Cité. Comment concilier animation de la ville et tranquillité de la vie ?

Acte 1 : le sauvetage d'un quartier

À la fin des années 80 les décideurs (en l'occurrence l'ancienne équipe municipale de Messieurs Challal et Marcus), toujours en retard sur l'air du temps, envisagent une vaste rénovation du quartier, qui consiste à raser presque tout pour reconstruire en beau béton propre, et au passage à briser le caractère populaire d'un quartier qui vit encore comme un " village ".
Mais c'était sans compter sur une évolution du quartier Sainte-Marthe : c'était encore un quartier populaire, avec des habitants qui se connaissaient ; mais des nouveaux venus, plus favorisés, attirés par le caractère authentique du quartier avaient commencé à s'y installer.
Le mélange de ces populations a finalement permis une mobilisation qui a bien fonctionné. L'association Saint-Louis- Sainte-Marthe, au fil des ans, est devenue incontournable et a fait reculer le bétonnage. Cette victoire a notamment été fêtée à plusieurs reprises par des rassemblements festifs sur la place (relance du bal du 14 juillet, repas et brocante de quartier, carnaval de rue).
C'est à cette époque, qu'un restaurateur inspiré ouvre le restaurant  Le Galopin sur la place, puis s'agrandit en ouvrant juste en face Le petit Galopin, bistrot de quartier, bénéficiant d'une terrasse sur la fameuse place.

Acte 2 : l'embellissement et le renouveau

De promise au bétonnage, la place Sainte-Marthe devient l'objet de tous les soins et de toutes les convoitises. La nouvelle municipalité ouvre la négociation et consulte les habitants pour terminer l'aménagement du quartier : nouveau pavage de la place, arbres soignés, chaussée et trottoir de la rue Sainte-Marthe rénovés. Pendant ce temps des nouveaux commerces se mettent en place : un restaurant sur la place (Le Sainte-Marthe), deux autres dans la rue et une ou deux boutiques de fringues et autres accessoires de mode. Les artistes, chaque année à l'occasion de leurs portes ouvertes, font découvrir les charmes des lieux à des visiteurs moins populaires que les habitants ! Enfin, pour couronner ce renouveau, Olivier, le talentueux barman bien connu des amateurs de bistrots de quartier, a repris Le petit Galopin pour en faire Le Panier (Olivier a fait ses classes Chez Maurice, rue des Vinaigriers, donné des coups de main Aux Berrichons première adresse, rue Bichat, inauguré L'Atmosphère, quai de Valmy, relancé chez Adel, rue de La Grange-Aux-Belles, pour enfin monter sa première affaire personnelle La Soupière, rue Marie-et-Louise).
Ainsi, en quelques années, un quartier maudit, mal famé disait-on, perverti par des trafics de drogues, est devenu un agréable petit coin de Paris, vanté par toutes les publications branchées de la capitale, en particulier le maléfique Nova Magazine.
Plus sérieusement, les militants qui ont sauvé le quartier peuvent être satisfaits : ils disposent maintenant d'une vraie place de village, animée, bien fréquentée.

Acte 3 : Clochemerle et le désenchantement des artisans du renouveau

Hélas, avec les beaux jours les terrasses de café et de restaurant se remplissent, les tenanciers en sont heureux car les affaires tournent, mais les riverains découvrent qu'une place animée, cela fait beaucoup trop de bruit.
Un jour, explique Olivier du café Le Panier, le président de l'association est venu me demander de fermer à 22 heures parce qu'une voisine, mère d'un jeune enfant s'était plainte. C'est là que l'on a pris conscience du problème. à partir de là on a fait des efforts, et nous avons proposé de faire une charte pour fixer des règles de bonne cohabitation. Je suis allé plusieurs fois aux réunions de l'association et j'y ai défendu mon point de vue. Ensuite cela s'est retourné contre moi. "
Un riverain qui surplombe la terrasse du Panier, explique " Les terrasses s'étalent et ferment trop tard, la vie est devenue intenable. Les commerçants se fichent pas mal des habitants du moment qu'ils réalisent leur chiffre. La Charte de bonne conduite n'a été qu'un moyen de faire traîner les choses pour mieux passer l'été tranquille, ils ont gagné du temps. "
La fameuse charte, qui devait fixer des heures de fermeture plus raisonnables, s'est transformée peu à peu en pétition, et la concertation a tourné à Clochemerle, certains riverains s'en prenant aux autres. " L'association défend les intérêts particuliers des seuls riverains de la place qui sont effectivement gênés par le bruit. Pour le quartier tout entier, ces terrasses sont une bonne chose, il y a plus de vie qu'avant et moins d'insécurité. Une place de village, cela fait du bruit, il faut savoir ce que l'on veut " lance avec malice un habitant de la rue voisine.
Effectivement cette remarque résume assez bien le dilemme duquel devront sortir habitants et commerçants de la place Sainte-Marthe. D'un côté on veut une ville vivante et animée, de l'autre on veut y vivre tranquillement. C'est incompatible, à moins de spécialiser les quartiers : le bruit dans certaines rues, les habitations dans d'autres.
On le voit la solution n'est pas facile. Espérons que le dialogue reprendra et que le quartier Sainte-Marthe gardera cette ambiance que nous aimons tant.

Hervé Latapie

Bonnes adresses du quartier

Les terrasses les plus agréables :
Place Sainte-Marthe (vous l'aurez compris).
Le meilleur rapport qualité prix pour déjeuner ou dîner :
- Le Barak, 29, rue de Sambre-et-Meuse : le meilleur restaurant turc du quartier, cuisine fraîche et raffinée, patron sympa et généreux, une excellente adresse.
- Le Galopin, 34, rue Ste-Marthe : cuisine française de qualité et accueil adorable.
Le refuge de haute montagne en plein Paris :
- Le Coin de verre, 38, rue de Sambre-et-Meuse : coin cheminée, charcuterie et fromage des Alpes, et un patron personnage haut en couleurs et très chaleureux… (il parle si bien de ses vins).
Le plus militant : 
- La Rôtisserie, 6, rue Sainte-Marthe.

Ste-Marthe
Au matin, tout est paisible.



Pour la beauté des fleurs

Oyez ! Oyez ! des fleuristes des nouveaux temps se sont installés près de chez nous.

1er janvier 2000, une nouvelle ère pour la rue Beaurepaire, au no 5 des mains d'un Vert Lézard a éclos un fouillis magique, un souk de fleurs à la vitrine exubérante.
Après des études de biochimie, ce fleuriste en l'âme - dont le grand-père peu connu était horticulteur au Pérou (Ce n'est pas une contrepèterie ! (NDC)) - a cédé à son inclination, pour notre plaisir.
Prenant le temps d'être en relation avec des producteurs de plein champs passionnés, il veut " les plus belles fleurs au meilleur prix ", car, " les fleurs, c'est pour tout le monde ".
Ainsi, il nous contera l'histoire et les qualités de chacune, l'accordant, si besoin, avec esprit pour la naissance d'un bouquet joli personnalisé : bouquet rond mignon, kumquat piquant, feuilles épatantes qu'il mariera lorsque la fleur l'appelle.
Gentillesse et souci de fraîcheur, comme de durabilité, sont partagés par Madame sa voisine.
Comme une fleur…, elle s'est installée au 55 de la rue de Lancry, nous offrant, en tableaux, une vitrine littéraire, écrin de trésors végétaux, introduction à une grotte fantastique. Urbain en mal sensuel de campagne, vous rencontrerez derrière un magnifique plateau de chêne massif (table d'orfèvre du Marais), un lutin féminin qui vend : des parfums, des textures, des couleurs, bref, au cours des saisons des feuilles que l'on prend pour des poissons tropicaux, des dahlias haute couture et des branches de cassis, enivrant en fruit.
Dans ce théâtre, étonnée, elle nous étonne.
Venue de l'architecture, elle a tout lu de la création dans la fleur par les belges et les hollandais, si libres.
C'est ainsi qu'elle nous propose le vase épuré, élégantissime du jeune créateur, la bougie serpentin qui rythmera lumineusement les fleurs, les lierres parlant à la main, les graines étranges décoratives.
Et aussi :
- Antoine et Lilli, quai de Valmy, la boutique verte où on trouve de belles cactées, de mignonnes petites plantes fleuries, des plumeaux de la pampa, dans le grenier cheap cher de Barbie en Mongolie. - les plantes lyophilisées, pardon, " stabilisées " au 55 bis quai de Valmy.

N'hésitez pas, offrez-vous la poésie de ces découvertes.

Marie-Hélène Cayla

Pour un goûter douceur

Au 58, rue de Lancry, à deux pas du canal, la belle déco d'une boutique ancienne : moulin et fleurs peints sous verre entourés de noir et or en vitrine, plafond peint et frises à l'intérieur, agrémenté de fagots de blé et de plats de céramique tunisiens.
Messieurs Hamadi, père et fils, nous y cuisent:
- la baguette italienne aux grains de sésame grillé qui embaume,
- des sandwiches de 15 à 20 F,
- et surtout de l'onctueux, du tendre, du parfumé, du bonheur : cake pomme - orange, pain banane - fruits confits, beignets noix et miel, muffin fraise, halwa, harissa semoule amande, sablés amande - pistache…
J'arrête ! je vous laisse en rêver jusqu'à ce que vous craquiez, définitivement perdus par la gentillesse des vendeuses.

Et aussi :
Au coeur du Liban, 56 rue de Lancry, restauration sur place et à emporter, sandwichs variés à partir de pita.

Marie-Hélène Cayla



Les petits guides du X ou les polytechniques de l'amour

Dixième, dixième, dixième, quand tu nous tiens, 10e, 10ème, Xéme, Xe, tu nous tiens bien. Le dixième devient un quartier branchouille, et plusieurs petits guides plus ou moins tendance décrivent les coins et recoins utiles, ludiques ou snobinards de l'arrondissement.

Les petits guides du 10e

Guide du Xème arrondissement 1999-2000
disponible à l'accueil de la mairie du Xe.

Dix de coeur
un voyage au coeur du Xe
Association Modus Vivendi
62, rue du Fg-Poissonnière.

Le canal Saint-Martin
Les 90 meilleures adresses heure par heure
L'Express Paris

75010 Le guide
156 adresses incontournables
Euro RSCG-BETC
85, rue du Fg-Saint-Martin

Pertinents ou non, impertinents ou non, tous ces guides ont un point commun : celui d'avoir gardé en trame la trace de l'érotisme qui séduisait tant certains ex-spectateurs des ex-cinémas spécialisés des boulevards et grands boulevards du dixième.
À chaque numéro de La Gazette suffit sa peine et, du Guide du Xème arrondissement édité l'an passé sous l'égide caché de nos édiles locaux, nous ne dirons rien. Paix à nos élus et gloire à leurs âmes sereines dans les champs élyséens de la précampagne.
75010 Le guide est très discret, à peine relève-t-on quelques allusions coquines dans la brève histoire de Macadam Suzanne qui ouvre l'ouvrage : " […] Suzanne ne s'arrête plus. Tente de le relever et culbute sur lui. Ses seins sur son visage.[…] ". Cependant, la rubrique " Bouches du monde " est illustrée, en introduction page 12, de lèvres arrondies en … de poule autour de l'intromission buccale, débordant sur la lèvre supérieure et la dentition féminine du modèle, d'une cuillérée de lait concentré sucré rappelant les meilleurs effets spéciaux de la grande époque de nos salles obscures. Sic transit gloria (et vive le lait concentré !) mundi.
Classant ses meilleures adresses et suggestions heure par heure, L'Express Paris propose, dès 8 heures, un jogging du matin du Temple à la Villette en longeant les rives du canal. Vous laisserez-vous porter par l'image anatomique de ces berges :


Le canal Saint-Martin, vu par L'Express Paris.

…et le lyrisme du texte qui l'accompagne. " Ça monte enfin […] mais la grimpette se conclut vite au niveau de l'écluse Saint-Martin […] comme pour mieux vous aider à refroidir le moteur ". C'est très polytechnique tout cela !
Même la vertueuse, gironde, républicaine, sentimentale et associative rédactrice de Dix de coeur s'est laissée piéger par un caractère romain de l'écriture des chiffres : " Des lieux de rencontre, des lieux de vie " jusqu'à " des nuits plus câlines et moins chaudes " en continuant par " Encore plus de voisins copains ", elle ose enfin : " Le plus du X : on s'aime ! ".
Lapsus, faute de frappe ou bref hommage à Perec et à son roman La disparition où le Xème serait devenu l'Xm ?

Ah, j'oubliais, il n'est mentionné dans aucun guide, mais l'arrêt situé en face de la mairie d'arrondissement a été baptisé (volontairement ?) par la RATP Mairie du X (sic). Cet arrêt est bien sûr situé devant l'immeuble du 69 rue du Faubourg-Saint-Martin !
C'est vrai, ça ne s'invente pas et ça laisse rêveur.
Vive le cinéma !

XXXL



L'interview de Mocky qui donne envie d'aller voir du Mocky

À partir de janvier prochain, Le Brady sera pourvu d'une deuxième salle réservée à la projection de courts-métrages. Chaque matin, le maître des lieux se transforme en chef de chantier-ouvrier-architecte. Couvert de plâtre, Mocky peste. Les subventions promises ne sont toujours pas arrivées, les fonds manquent pour financer les travaux. Pas besoin de le chauffer pour qu'il commence à tailler des vestes.

Le Glandeur se déchaîne

Mocky Je viens de me disputer avec les impôts et Mme Tasca parce que sur une place à 35 F, ils nous prennent 3,20 F. Il nous reste 31 F à peu près, donc il n'y a qu'une seule solution, c'est d'augmenter la fréquentation. Sinon on ne s'en sort pas. On fait entre cent à deux cents personnes par jour. Exceptionnellement, on en fait cent cinquante avec Le Glandeur depuis plusieurs jours. C'est énorme !
Actuellement, construire une salle de cinéma coûte entre 600 et 800 000 balles. On les avait pas, mais des souscripteurs nous ont fait plusieurs cadeaux. Un gars nous a offert un appareil Victoria 9 de toute beauté. Il a ouvert une salle à Metz (c'est plus facile en province parce qu'ils sont subventionnés, le local est donné par la mairie). Comme il avait un appareil en trop, il nous l'a donné pour cette deuxième salle.

Il faut sauver le Brady

Des bénévoles du quartier viennent nous aider : un avocat de la rue des Petites-Écuries, un professeur d'orthophonie - sa spécialité à lui, c'est la peinture. Un autre, un sculpteur polonais qui habite là sur le boulevard, sa spécialité, c'est l'électricité. Vous voyez des gens comme ça viennent et ça nous soulage un petit peu.
Dans trois mois, du Châtelet à la gare de l'Est, je serai la seule salle. Le Paris-Ciné ferme définitivement. à partir du 1er janvier, il se consacre à la musique : jazz dans une salle et musique indienne dans l'autre. C'est fini le cinéma. Il ne s'en sort pas. Il est obligé de prendre des films qui coûtent très chers et il fait pas plus d'entrées que moi.

Abbé Pierre mais pas trop

J'ai créé cette deuxième salle pour tous les gens qui ont fait des courts-métrages. Le principe est assez simple. On fait pas de sélection. Moi j'ai horreur des jugements de ce type. Les gars qui ont fait des courts-métrages (même en vidéo) s'inscrivent au Brady, je leur donne le projectionniste et leur demande cent balles. Nous diffusons le film pendant une semaine non-stop, avec d'autre courts-métrages. Le soir, je ramasse la recette puis je la partage.
Je veux bien ne rien gagner (parce que là, je ne gagne rien). La différence qu'il y a entre moi et les exploitants de pop-corn, multicartes, etc., c'est que moi je veux avoir un cinéma qui plaise, mais aussi je veux que cela ne me coûte rien. C'est une oeuvre philanthropique. Mais je ne veux pas être déficitaire. J'accueille les gens, c'est gratuit pour eux et pour moi mais je ne veux pas me retrouver à payer des factures parce que je serais obligé de pénaliser les gens qui travaillent avec moi.

Multipass plus

Les cartes du Brady, c'est des cartes à 300 balles pour 20 séances de 2 films. L'avantage de ma carte par rapport aux autres, c'est qu'elle n'est pas nominative. Un jour vous voulez venir à 20, vous usez la carte, vous payez chacun 15 balles.
On vient de passer un accord avec les majors compagnies : on passe des films absolument exceptionnels, des films anciens bien entendu parce que nous notre problème, c'est qu'à part mes films à moi et quelques films japonais, on passe que des vieux films.
On ne joue pas le même rôle que la cinémathèque. La cinémathèque c'est des snobs. Nous, on évite le snobisme dans la mesure où on choisit que des bons films tandis qu'à la cinémathèque, ils choisissent que des choses emmerdantes en disant que c'est des bon films. Moi, je suis pour le film populaire, accessible à tous, pas pour des énigmes, des mecs qui se branlent…

Le film est dans la salle

On a plusieurs sortes de spectateurs, c'est un peu spécial. On a les habitués, les gens du quartier, généralement des rmistes qui viennent à quatorze heures et partent à vingt heures. Ils restent six heures et dorment une partie des séances. On les appelle " les dormeurs ". Ils sont au nombre d'une dizaine. Ensuite, il y a " les pornographes ", ceux qui se donnent des rendez-vous pour avoir des contacts et qui s'en vont à l'hôtel. C'est la partie un peu bd de Strasbourg. Puis, le reste ce sont des étudiants, des gens normaux par rapport aux autres.
Si j'étais situé sur les Champs-Élysées ou vers Opéra, j'aurais pas la même clientèle. J'espérais que du théâtre Antoine à ici, il se passe un peu quelque chose. Mais à partir de la rue de Metz, on est cassé. Jusque là haut, jusqu'à la gare de l'Est, ça devient la zone. C'est un peu comme le mur entre l'Allemagne de l'Ouest et l'Allemagne de l'Est.

La pissotière, le maire et le cinéaste

Et puis alors, l'autre jour, j'ai évité la vespasienne. Ils voulaient m'installer un Decaux juste devant chez moi. Ils étaient en train de commencer à défoncer le bitume. Je leur ai dit : " si vous n'enlevez pas cette tinette, je vous fais passer pour des cons chez Ardisson ou Paul Amar la semaine prochaine. " Alors les mecs de la voirie m'ont avoué : " Monsieur Mocky, on est avec vous mais on nous a fait déplacer ce truc du 46 bd de Strasbourg pour le mettre devant chez vous. " Je leur demande combien ça coûte. Ils me disent : " ça coûte dix briques de l'enlever et 15 briques de la remettre. " Le maire, Dreyfus, il a mis 25 briques pour pouvoir déplacer ça. Pourquoi ? Parce qu'il y avait des drogués. D'un coté, la Mairie de Paris nous donne un peu d'argent (qu'on a pas touché d'ailleurs). De l'autre, ils nous installent une mesquinerie. Faut quand même pas exagérer. Ce pauvre cinéma, on essaye de le rénover. Si on met une pissotière devant, alors là…
Ce qui m'exaspère c'est qu'en fait on arrive pas à faire vivre ce genre de truc. Il y a des gens qui me saluent dans la rue, ils me serrent la main et me disent " Bravo Mocky continuez ". Mais ils regardent tout en vidéo ou à la télé, ils ne viennent pas dans ma salle.

L'affaire Scala

Le propriétaire de l'immeuble voulait pas qu'il y ait de cinéma porno, donc résultat : les types du porno ont vendu ou n'ont pas eu leur bail renouvelé. Alors il y a eu des propositions pour racheter ce local. Même moi j'ai été contacté mais c'était un milliard six. Il y a d'autres gens qui se sont groupés pour essayer d'acheter dont un dénommé Tinchant qui voulait en faire des cinémas. Au dernier moment, on a appris que c'était vendu à une secte. Le fautif c'est celui qui a laissé ça deux ans en vente. La Mairie, ils voyaient qu'il y avait un grand local, ils n'avaient qu'à le préempter.

Propos recueillis par
Manu Loiret et Jean-François Pierre



Cour des Petits Délires
(une promenade onirique)

Il a neigé Cour des Petites-Écuries. C'était un soir de fin d'été. Annka sortait de la Brasserie FLO où elle avait mangé juste des huîtres avec du Riesling. Il neigeait.

Je n'ai pourtant pas bu plus que ça, elle a pensé.
Elle a fait quelques pas. Elle a cherché des yeux le voiturier de FLO. Il n'était pas là.
C'est ça ! elle a pensé, ce soir il n'est pas là et il neige.
Ce n'était pas cette neige froide, piquante qui va avec la rigueur de la montagne. C'était bizarre, comment dire, pas désagréable, pas froid, ni chaud ni froid, bizarre et agréable malgré les vêtements légers d'été, sucré-salé si on peut dire ça de la neige.
Son regard a buté sur la porte Saint-Denis ravalée, ses écussons flambants comme un louis, qui s'était substituée à la façade aveugle sous laquelle on a normalement accès à la Cour quand on y vient du Faubourg.
Les longs cheveux noirs d'Annka s'étaient poudrés de blanc et ses épaules. Les terrasses en vis-à-vis du Bleu Cerise et du Tribal café étaient occupées. Trois chevaux blancs attendaient devant l'épicerie turque. En face, sur le trottoir du blanchisseur tunisien, un groupe animé d'Ivoiriens débattait. Annka s'est retournée. L'écailler construisait sur des plateaux ses châteaux de fruits de mer. Au fond de la Cour, vers Le Passage où elle déjeune souvent, fermé à cette heure, des chevaux blancs galopaient sans bruit sur les pavés nappés de neige. Elle a pu vérifier que les arbres tout au bout avaient gardé leur feuillage.
Mais les voitures ? Pas plus de voiture que de voiturier, l'un ne va pas sans les autres, elle a pensé, tout ça n'est pas vrai. Si c'était un tournage ? Non, pas un technicien en vue, ni câbles ni projecteurs. J'ai soif.
Annka est entrée au Tribal Café. La salle était bondée, que des jeunes gens. C'était un soir de couscous gratuit. Elle s'est fait servir par Kader une blanche au comptoir et est ressortie. Ouali l'a suivie dans la Cour : "Azul ! ça me rappelle la Kabylie, les montagnes là-bas."
J'irai un jour, s'est promis Annka. "Un jour, j'irai en Kabylie et au désert, le désert qui ne s'arrête qu'à l'océan, je voudrais voir ça, tu sais " a murmuré Annka.
Elle a remarqué, en face, Tony Gomina avec une blonde en chignon. Ils mangeaient des tajines aux pruneaux à L'Annexe. Ouali évoquait les nuits dans le désert, les étoiles, le ciel incomparable. La blonde à Tony crachait ses noyaux dans la neige à travers la fenêtre ouverte. Annka s'étonnait de les voir là mais bon, elle s'en foutait en même temps. Car elle aimait écouter Ouali. La blonde lui rappelait, lui rappelait, mais qui ? Les Kurdes, devant le Salon çay touchaient la neige, avec respect et ils se prenaient les uns les autres à témoin, sans doute à propos de cette qualité de neige. Elle a pensé à Un Privé à Babylone, le polar de Brautigan. Didier lui a fait un signe de la main du Bleu Cerise. Tandis qu'elle sifflait ce qu'il restait du demi, un petit bonhomme avec un short tricolore acrylique indécent est passé devant elle en sautillant.
Elle a ramené le verre au bar, y a assisté à un défilé de garçons et d'assiettes de couscous. Elle entendait le disque de Tom McRae, You cut her hair.
Tiens, je vais me couper les cheveux, elle s'est dit, juste les bouts mais au même moment elle a pensé je rêve, ce disque ne sera pas dans les bacs avant deux mois.
Elle a remis en place sa longue chevelure noire et sèche.

Michel Motu

L'Annexe,
Bleu Cerise,
FLO,
Le Passage,
Tribal Café,
Salon çay,
dans la Cour des Petites-écuries



Sur la route…

Gloagen Vous le reconnaissez ? Non ? Pourtant je risquerai fort de le trouver dans votre bibliothèque. Ne partez pas sans lui si vous devez voyager prochainement, sinon vous risqueriez d'en voir de toutes les couleurs. Ce visage inconnu figure au verso d'une collection littéraire au genre particulier que l'on emporte dans son sac de voyage. Pierre a vécu plusieurs dizaines d'années dans un triangle délimité par le canal saint-Martin, la place de la république et les gares. Nous lui avons demandé qu'il nous raconte son 10e arrondissement, car il le connaît bigrement bien ce morceau de Paname. Il accepta avec enthousiasme.

Il fallait dégoter un lieu simple et sympa comme lui, un café agréable à l'image du quartier, nous avons choisi le Dellys, le bar de la rue des deux-gares. Ce bistrot peut facilement recevoir en toute discrétion des célébrités sans attirer une meute de fans. La dernière personnalité de passage dans ce bistrot fut M. Séguin ; lui - vous le connaissez - s'installa dans la salle de restaurant à l'étage pour donner une conférence de presse. Nous avons préféré une table à l'extérieur, devant un café et des boissons rafraîchissantes.

La jeunesse

Pierre débuta son histoire à la façon d'un film des frères Prévert, en noir et blanc. En 49, ses parents s'installent avec leurs trois enfants dans la rue des Vinaigriers, papa est cadre commercial et maman prof d'anglais. Le quartier est alors populaire, on y trouve encore quelques taudis. Notre homme, à l'époque un gamin de 5 ans, use ses fonds de culotte à l'école de la rue de Marseille.
Maurice, une autre figure du coin partageait le même banc que lui. Maurice vous le connaissez, lui ? Mais si, le bourgogne, le restaurant de la rue des Vinaigriers ! Ses yeux clignotent, pétillent, les gestes accompagnent les phrases pour les faire vivre un peu plus longtemps que des mots. On n'ose pas interrompre ses paroles, elles ne sont pas nostalgiques, simplement des clichés cadrés à la Doisneau qu'il pioche pêle-mêle dans sa mémoire. Pierre aime se souvenir de la bande de copains et de leur terrain de jeux, la rue. Du lait qu'il allait chercher à la louche, de Mme Guermeur, la crémière, de la boulangère, Mme Poirier, du boucher, M. Fossart, des petits services rendus aux voisins en l'échange de quelques pièces de monnaie vite dépensées. Quelques regrets, légers, le capharnaüm d'un marchand de couleurs a disparu, les garibaldiens occupent les lieux. Le passage de l'arrière cour du 8, rue Legouvé s'est clôturé ainsi que sa traboule secrète entre les deux gares, de la rue du faubourg-St-Denis à la rue d'Alsace. Petit au bord du canal, il a l'âme voyageuse, un peu poète. Que sont devenues les péniches d'antan, bateaux ivres évocateurs de pays lointains. Des drôles d'embarcations, en forme d'aquariums flottants remplis de touristes chasseurs de cartes postales, empruntent leurs écluses.
La suite s'annonce comme une couverture de Charlie Hebdo, très caricaturale. Un début de scolarité peu convaincant le jette dans les mâchoires du clergé à l'école Saint-Laurent au 20, de la rue du terrage. Cette école a disparu depuis, l'abbé Meyer aussi. Cela a fait son effet puisqu'il réintègre le public en classe de 5e au collège de la rue jean-Poulmarch. Sous l'impulsion de M. Lipman, un enseignant militant - je vous laisse deviner la tendance - les rames de papier récupérées à la papeterie de Montévrain sur le canal sont recyclées en journal, un début de journalisme. Comme beaucoup d'autres gosses de son âge il passe brièvement chez les Coeurs-Vaillants et sera même enfant de choeur à l'église Saint-Laurent.
Sainte mère l'Église ne bâtit rien avec ce Pierre mais l'exclut rapidement de son giron pour conduite immorale. Cette formule toute habillée cache pudiquement la fille d'une dame patronnesse, l'époque des premiers amours. Le scoutisme se poursuit chez les éclaireurs qui lui ouvrirent les portes du paradis, un voyage aux USA à l'âge de 17 ans. Il apprend les arts graphiques au lycée Corvisart dans le 13e.

Le temps des potes

Les copains sont devenus des potes, c'est le temps des blousons noirs. Ils ont grandi et abandonné la rue au profit des bistrots. Cet anar gaucho remercie le camarade Edgar Faure pour sa loi qui ouvrit les portes des universités à ceux qui ne possèdent pas le bon passeport : un bac. Il en ressort avec une licence d'anglais, maman est fière. Il ne s'éloigne pas du canal en s'installant rue de château-landon.
Pour obtenir un poste plus rapidement il demande à enseigner la langue des Beatles à des tueurs qui purgent de lourdes peines en prison. Viré, trop militant. Il occupe ensuite plusieurs petits boulots.
Puis arrivent les années bariolées par une palette couleurs hippies, Lennon imagine. Inventer un monde meilleur, ils y ont cru et presque réussi. La brèche ouverte ne s'est jamais refermée, tant mieux pour les plus jeunes. 68, il devait en être. Avec la même conviction que les rois mages suivirent leur étoile, lui rejoint celle de Fidel pour planter des cannes à sucre à Cuba la rouge. Pierre continue. Son histoire s'écoute comme un vinyle de Jimi Hendrix.

Le monde est petit

Les chemins de Katmandou, les babas cherchaient en masse la sagesse de gourous loin de cette Europe vieillotte.
Certains parcourent le monde en deuche, on ne s'imagine plus ce que fit Citroën pour cette génération, n'est-ce pas Monsieur Séguéla1 ? Les charters arrivent, ils déposent Pierre aux " z'indes "2. Est-ce encore du militantisme ou quelque chose de plus fort qui le poussa au Portugal pendant les événements de 74 et 75 ? Pour se ressourcer, notre vagabond se rend en Bretagne où il s'y découvre des racines. L'Irlande l'intéresse également beaucoup. En 76, il croise sur sa route la crise économique et la loi 110% de Barre. Révolutionnaire, Raymond offre 110 pour cent du salaire aux sans emploi qui acceptent une formation. Avec de telles conditions Pierre se transforme en correcteur. Plus tard il officie au guide bleu. Dans les couloirs il croise un patron " avec ton allure de routard tu devrais filer un coup de main à Philippe Gloagen ". Voilà comment Pierre Josse rejoignit le Guide du Routard, et y fit entrer le 10e arrondissement un peu plus tard. Depuis 80, il porte le titre de rédacteur en chef, CHEF ce mot colle mal à ce rebelle. Mais attention, il insiste bien : le routard reste indépendant par son statut. Ouf ! on a eu peur pour eux. Je vous l'avais dit qu'il figurait dans votre bibliothèque, on a tous un tintin ou un GDR posé sur une étagère.

Gérald Masnada

1 Avant d'installer une filiale d'Euro-RSCG en face de la mairie, Jacques Seguéla a parcouru la planète en 2cv.

2 Les " z'indes " : terme utilisé à l'époque par le magazine Actuel pour désigner l'immense pays qu'est l'Inde.



Momies' Blues

Comparé à d'autres arrondissements, notre quartier est pauvre en statues sur la voie publique : seulement onze sont répertoriées par les services municipaux. Néanmoins, tous ces yeux perdus dans l'éternité méritent une visite. Suivez le guide (pourboire facultatif).

Au carrefour de Château Landon, Georges Vacossin a réalisé une belle Maternité qui, logiquement, est à proximité d'un Faune aux enfants, rue Louis Blanc, dû à Yvonne Serruys ! Dans le quartier de la Grange-aux-Belles, Albert Camus a le droit à une sculpture en métal sur la place qui porte son nom. De l'autre côté du canal, dans un quartier qui date des années 70, Raoul Follereau, fondateur de la fondation de lutte contre le lèpre, a été coulé dans le bronze par Philippe Kaeppelin. Dans le square Saint-Laurent, c'est la pierre qui a été choisie pour réaliser deux sculptures : Frère et soeur de Louis Albert-Lefeuvre, et Réconciliation d'Elie Vezien. Doit-on rapprocher ces deux noms et imaginer qu'un scénario shakespearien les unit ? Un peu plus haut, square Alban-Satragne, un médaillon rend hommage à saint Vincent-de-Paul.
Les quatre dernières sont plus au sud : sur le boulevard Saint-Martin, une représentation en marbre, d'après Louis-Noël, du baron Taylor - qui habitait juste à côté - salue dans le lointain le portrait de Johann Strauss, sur la place du même nom. À l'endroit ou le canal sort de son souterrain, Pierre Grannet a sculpté dans le marbre le portrait de Frédéric Lemaître.
Enfin, place de la République, le monument à la gloire de notre régime politique, de Léopold Morice, a été inauguré le 14 juillet 1884.
Quant aux fontaines, l'inventaire sera encore plus rapide : il n'y en a plus aucune (sauf des privées, comme celle du passage Reilhac). Pourtant… la rue du Faubourg-Saint-Martin avait encore plusieurs très belles fontaines au début du siècle, la place du Château-d'Eau (qui grosso modo correspondait à la partie ouest de la place de la République) eut le droit à une superbe fontaine édifiée par Girard et inaugurée en 1811. Mais considérée comme trop petite pour la nouvelle place, elle fut démontée et réinstallée devant la Grande Halle de la Villette. En 1874, Elle fut remplacée par une seconde fontaine réalisée par Davioud. Mais celle-ci aussi prit le chemin de l'exil, et l'on peut la voir maintenant du côté de Daumesnil, place Félix-Eboué. Enfin, place de la gare de l'Est il y a une petite dizaine d'années, une fontaine, oeuvre de Michèle Blondel, fut installée. Mais, comme très vite elle ne marchait plus (à cause du calcaire ?), elle a aussi été démontée…
Ainsi la nuit, quand les hommes s'enfoncent dans l'égarement du sommeil et dans l'oubli de leurs méfaits, les statues ne peuvent même pas en profiter pour aller faire leurs ablutions.

Benoît Pastisson