La Gazette du Canal n° 22 - Histoire

(hiver 1997/1998)

Le journal de tout le 10e arrondissement de Paris

Au fil du temps, la circulation

De tout temps, Paris a connu les embarras de la circulation et ses miasmes car on ne parlait pas encore de pollution. Si Nicolas Boileau a décrit dans une célèbre satire les difficultés de se mouvoir dans les étroites rues parisiennes, son contemporain Blaise Pascal essaya d'y remédier en ayant le premier l'idée de transports urbains en commun, peu onéreux, réduisant l'encombrement des véhicules dans la ville. Mais bien longtemps régna l'anarchie la plus complète dans les rues de la capitale où les malheureux piétons tentaient de se frayer un chemin dans l'entrecroisement des chars, charrettes, voitures à bras, litières, carrosses et autres fiacres, et dans le bruit fracassant des omnibus hippomobiles puis automobiles, des tramways à traction chevaline, à vapeur ou électrique.

Quelques cartes postales du début de ce siècle nous permettent de voir quels moyens de transports traversaient de toute part notre arrondissement :

- La compagnie des " omnibus hippomobiles " parisiens est créée en 1828 rue de Lancry. Des ateliers du quai de Jemmapes sortent alors pour sillonner Paris jusqu'en 1913, une centaine d'omnibus répondant aux doux noms de " Dames Blanches, Favorites, Gazelles, Carolines " ou encore " Citadines ", ces dernières remisées au 4, rue Alibert.

Quant au crottin déposé par les chevaux, il est soigneusement ramassé pour être vendu comme engrais, un ingénieux système de récupération l'envoie directement au tout proche canal Saint-Martin, il est transporté sur des wagonnets au travers de galeries menant au port de l'Arsenal. (L'Illustration, 1889).

omnibus- Sur le boulevard de Strasbourg dévale un omnibus à impériale monté sur rails pour faciliter la tâche des chevaux. Sur les points chauds du parcours un cheval " côtier " lui est parfois adjoint. Voici les conseils à respecter par le passager pour le bon usage de l'omnibus " il faudra se soutenir aux barres de fer, pour descendre à reculons et en commençant du pied droit, en mettant pied à terre, ne pas quitter immédiatement la barre, mais suivre un instant en courant la voiture en s'y tenant ". (K. Baedeker, Paris 1878).

- Boulevard et Porte Saint-Denis, stationnent et roulent en nombre les nouvelles voitures à moteur, peut-être voit-on là les premiers taximètres automobiles nés en 1905. Les constructeurs ont longtemps hésité entre la vapeur et l'électricité pour actionner les moteurs. L'essence et le moteur à explosion ont fini par l'emporter en 1891, et sous licence Daimler naît la première voiture à essence française. En 1895, les frères Michelin fabriquent le premier pneumatique pour automobile ; alors commence la course à la vitesse.

- Le Funiculaire de Belleville, mis en service le 25 août 1891, fonctionne selon un système de traction par câble sans fin avec mouvement continu déplaçant les voitures sur une voie unique. Il part de la place de la République, emprunte les rues du Faubourg-du-Temple et de Belleville jusqu'à l'église de Belleville. Destiné à une clientèle populaire, il est bon marché : 5 à 10 centimes selon l'heure ; il fonctionne 18 heures par jour à une vitesse moyenne de 12 km/h et transporte environ 5 millions de passagers par an. Il n'a connu qu'un incident grave en 1906, la rupture d'un câble lui a fait dévaler la colline jusqu'à la place de la République à plus de 120 km/h, faisant une vingtaine de blessés. Le funiculaire a cessé de fonctionner le 18 juillet 1924, remplacé par l'autobus, puis en 1935 par la ligne 11 du métro " Châtelet-Mairie des Lilas ".

- Le long du marché Chabrol, sur le boulevard de Magenta, la circulation semble " intense ". Longtemps desservi par une unique ligne d'omnibus, il l'est à présent par trois lignes de tramways circulant sur rails avec deux systèmes de propulsion différents : à l'électricité emmagasiné dans des accumulateurs et à air comprimé, soulevant des nuages de poussière et énervant les chevaux ; de plus sur le boulevard se lancent des " véhicules à moteur " qui " gazent " avec une affreuse odeur de pétrole ou d'essence et bientôt de diesel.

- Les " voitures de livraison " ont longtemps été tractées dans les rues de Paris par des boeufs puis par de lourds percherons. Avec la réquisition des chevaux pendant la guerre de 1914-1918, les chevaux disparaissent de la ville et avec leur crottin parti, s'envolèrent aussi les piafs de Paris.
Ici, un tombereau fait une livraison de caisses de bières de la brasserie Karcher au 170, quai de Jemmapes.

- Sous la IIIe République, le transport en commun connaît un progrès décisif avec l'arrivée des " tramways ". L'omnibus disparaît au profit du tramway sur rails d'abord tiré par des chevaux ; puis vient le tramway à vapeur, poussif et charbonneux jetant de la fumée au nez des gens ; il est remplacé dès 1892 par le tramway à traction électrique à accumulateurs ou à air comprimé, avec perche le reliant par une roulette à des câbles électriques " au coin de la rue Saint-Quentin et de la rue Lafayette, il y avait un tramway qui tournait là, presque chaque fois la perche lâchait, cela faisait un bruit de pétarade odieux avec des milliers d'étincelles " (C. Chanson, La Mémoire de Paris, 1919-1939). Mais dès 1929, le Conseil municipal prononce la condamnation du tramway dans Paris intra-muros et décide son remplacement par l'autobus, c'est la victoire du tout automobile, le tintinnabulum de la cloche du wattman est détrôné par le concert des Klaxons qui eux ne seront interdits qu'en 1954.
Pendant ce temps, pour mieux se faufiler dans les embouteillages parisiens, on passe de la draisienne au vélocipède, du bicycle à la bicyclette, mais déjà pointent les deux roues à moteur avec l'invention des Vélosolex pétaradants.

Jeannine Christophe