La Gazette du Canal n° 20 - Histoire

(été 1997)

Le journal de tout le 10e arrondissement de Paris

barbedienneUne Vénus de Milo pour chaque foyer

C'était le phare du canal Saint-Martin, cette immense cheminée de briques rouges crachant un épais panache de fumée noire qui matérialisait de bien loin la fonderie du bronzier d'art Ferdinand Barbedienne (1810-1892).

Aujourd'hui plus rien ne laisse deviner l'immense activité de ses ateliers du 63, rue de Lancry, seul reste pour témoigner de l'existence en ce lieu du creuset d'où sortirent dès 1841 quelques unes des plus belles oeuvres d'art en bronze du 19e siècle, un immeuble cossu post-hausmannien marqué en son fronton du sceau des Barbediennes et indiquant " fonderie Leblanc-Barbedienne, 1838-1895 ". Au premier étage, les magnifiques salons d'exposition sont décrits comme un " véritable musée où l'Antiquité côtoyait la Renaissance et le style français contemporain celui de l'Extrême-Orient ". Un passage charretier, sous le grand porche, menait aux divers ateliers, s'étendant jusqu'à la rue des Vinaigriers, où des centaines d'artisans travaillaient la fonte, la ciselure, la dorure et la patine.

La rencontre de deux autodidactes

Ferdinand Barbedienne, venu à pied de sa Normandie natale à Paris à l'âge de 12 ans, s'installe d'abord comme ouvrier-sellier, puis papetier. Il ouvre à 23 ans sa propre boutique de papiers peints au 30, boulevard Poissonnière (qui restera toujours le siège social de la fonderie). En 1836, il fait la connaissance du mécanicien Achille Collas qui lui présente son invention : une machine à réduire et reproduire la sculpture en trois dimensions, sur le principe du diagraphe et du pantographe.

Ils s'associent et Barbedienne fonde son entreprise en 1838 (d'où la date inscrite sur l'immeuble). Il va devenir l'un des plus grands spécialistes des " bronzes d'édition " aux tirages illimités qui inondent de statuettes en bronze les appartements bourgeois. " N'a-t-il pas fait pour la statuaire ce que Gutemberg a réalisé pour l'imprimerie ; la vulgarisation de ces chefs-d'oeuvre dans notre intimité a contribué à répandre le goût du beau dans toutes les classes de la société et à combattre ainsi la routine et l'ignorance " reconnaissait-on à l'époque. Mais dans cette période hautement industrielle, on sait aussi glorifier la machine libératrice de temps pour procurer des loisirs " Regardez ce bas-relief fait en six heures par un homme qui manie du pied une manivelle tout en lisant un roman " et l'invention est saluée comme aussi importante que celle de Daguerre dont le diorama est installé place du Château-d'Eau.

barbedienne, catalogue
Catalogue de bronzes d'art, 1884

Alors le Musée du Louvre ne fut plus au Louvre

La sculpture petit format a trouvé le moyen de fabriquer aujourd'hui tout un musée en une tournée : On cuit les danseuses en un quart d'heure et les hommes d'État en cinq minutes, on pourrait même obtenir treize rois de France à la douzaine " (la Caricature, 8 octobre 1843).

La première statue réduite par Barbedienne est la Vénus de Milo, elle orne d'abord les devantures des magasins puis gagne les cheminées des appartements, alors la " statuemania " ambiante l'entraîne à réduire de nombreuses oeuvres de l'Antiquité et de la Renaissance dans le format souhaité par la clientèle, cela va de l'Enlèvement de Proserpine aux Chevaux de Marly en passant par le Moïse de Michel-Ange. La demande se faisant de plus en plus pressante, il décide ensuite de " vulgariser " les chefs-d'oeuvre de la sculpture moderne.

Un homme d'affaire au service des artistes

Il s'adresse donc aux sculpteurs vivants et leur propose - tout en leur laissant la propriété de leurs oeuvres - d'exécuter à ses frais, des réductions qu'il vendra en leur assurant une redevance sur le produit net. Le premier contrat d'édition est signé avec Rude le 22 mars 1843. Suivront de très nombreux sculpteurs : David d'Angers, Barye, Barrias, etc. avec lesquels il conclut des contrats pour une ou plusieurs oeuvres ou encore pour leur production complète, soit à vie, soit pour une durée limitée. En un quart de siècle, il distribue ainsi aux artistes dont il reproduit les oeuvres, une somme de près d'un million et demi de francs. Il publie des catalogues commerciaux où plus de 1 200 pièces (copies de bronzes anciens ou tirages contemporains) sont présentées en plusieurs dimensions de 10 à 95 cm, sans oublier les pendules, les luminaires, les bronzes d'ameublement, les garnitures de cheminées, etc.

Ainsi fut-il chargé de 1850 à 1854 de tout l'ameublement des salons de l'Hôtel de Ville de Paris. C'est de la fonderie Barbedienne que sortent également des statues d'hommes célèbres : Henri IV sur le Pont-Neuf, Chateaubriand, Hugo, Lamartine, Balzac, Mozart enfant, de héros nationaux : Jeanne d'Arc et le maréchal Ney, mais aussi des scènes de genre : un jeune pêcheur assis sur le rivage, une paysanne qui porte son dernier-né, une danseuse célèbre.

La production, quelques temps interrompue par la guerre de 1870, lors de laquelle il met sa fonderie au service de la patrie en fournissant 70 canons pour la Défense nationale, reprend une fois la paix revenue. Il exporte ses fabrications à l'étranger où il installe des bureaux. Lorsqu'il meurt, le 21 mars 1892, plus de 600 ouvriers s'activaient rue de Lancry. Considéré comme " une gloire nationale ayant porté très haut l'éclat de notre industrie dans tous les concours internationaux (25 médailles aux grandes expositions de 1851 à 1889) et ayant poussé à l'extrême le sens de la traduction du beau ", il est inhumé au Père-Lachaise avec des funérailles quasi nationales.

La dynastie Barbedienne

Gustave Leblanc, son neveu et associé, lui succède sous le nom de Leblanc-Barbedienne. Il signe avec Rodin un contrat d'édition d'exclusivité de 20 ans pour l'Éternel Printemps et le Baiser. Il exécute également en 1895 la fonte de la première épreuve des Bourgeois de Calais. L'entreprise connaît toujours autant de succès. Elle dispose d'agences aux États-Unis, en Grande-Bretagne et ouvre une succursale à Berlin en 1913. Après la guerre, pendant laquelle une partie des ateliers sont détruits par la grosse Bertha, elle travaille notamment pour des monuments commémoratifs et réalise d'innombrables oeuvres.

Mais la médaille a un revers, la mode change, et Proust, dans La Prisonnière, fait dire à Albertine " qu'elle trouve fort laids les grands et petits bronzes de Barbedienne ".

La chute de l'empire Barbedienne se fait en 1953, l'établissement ferme définitivement le 31 décembre 1954 et l'on déplore alors la disparition mystérieuse des bronzes des salons et de la façade de l'immeuble, paraît-il, ornée de statues. L'hôtel est transformé en bureaux en 1955.

La réhabilitation de Monsieur Barbedienne

Elle intervient le 29 octobre 1975 avec l'inscription à l'Inventaire des Monuments historiques de la façade de l'hôtel du 63, rue de Lancry, de la toiture, de son escalier avec sa rampe de fonte menant au salon de réception somptueusement décoré, également classé.

Et si l'on veut encore rêver des fastueuses réceptions des Barbediennes, il suffit d'aller admirer leurs bronzes dans les appartements Napoléon III du Louvre, ou dans les salons de l'Hôtel de Ville de Paris et, pour ne pas oublier leur statuaire, de faire un tour au musée d'Orsay, en sachant la contempler avec les yeux du 19e siècle.

Jeannine Christophe



Les peintres du siècle dernier de passage dans le 10e

Atelier de Corot
L'atelier de Corot, au 58, rue du Faubourg-Poissonnière, au lendemain de sa mort.
(Croquis de M. Robaut).

Corot et Seurat ont successivement vécu dans le 10e mais ils n'ont pas laissé à la postérité d'oeuvres immortalisant nos quartiers.

Le premier habitait au 56, rue du Faubourg-Poissonnière et a toujours gardé son atelier au 58 de la même rue.

Le second est né le 2 décembre 1859, au 60, rue de Bondy (René-Boulanger), puis habita au 110, boulevard de Magenta, il fit ses premières armes comme dessinateur à l'école municipale du 17, rue des Petites-Écuries, ensuite on perd sa trace dans le 10e.

Moins célèbres, des petits maîtres de Paris, comme Luigi Loir (qui habita au 155, boulevard de Magenta), Jules Adler et Jean Béraud ont été inspirés par la perspective des Grands Boulevards, des portes Saint-Denis et Saint-Martin ou par l'animation des théâtres et des scènes de rue.

On peut admirer à la mairie du 10e, dans le salon nord, un ensemble de toiles « fin de siècle » illustrant dans un style allégorique des activités qui ont fait vivre l'arrondissement :

  • Le canal Saint-Martin, artère dont les quais étaient jalonnés d'entrepôts de marchandises, par Paul-Albert Baudoin.
  • La Descente de la Courtille sur le boulevard Saint-Martin et Saint-Denis lors du traditionnel carnaval, par Auguste-François Gorguet.
  • L'Allégorie des jouets évoquant leur fabrication dans le quartier, par Louis Béroud.
  • La Chanson populaire de Georges Hervy rappelle que les faubourgs Saint-Martin et Saint-Denis abritaient de nombreuses maisons d'édition dont les partitions musicales firent les belles heures des cafés-concerts du quartier, tels l'Alcazar, la Scala et l'Eldorado.
  • Les Théâtres d'Adrien Tanoux pour évoquer les illustres salles de spectacle du Boulevard du Crime.

On peut de plus dans le salon sud s'attarder sur une série de peintures illustrant des thèmes liés aux cinq sens.

Elisabeth Pascot