L'artiste et le 10e
Introduction
En juin, dans le 10e, depuis plusieurs années maintenant, se
tiennent les journées Portes ouvertes des ateliers d'artistes, organisées par l'association
Art Kanal 10, qui est sans aucun doute la plus importante manifestation
artistique de l'année dans l'arrondissement. Cela fait plusieurs fois que La
Gazette avait pensé profiter de l'occasion pour jeter un petit coup d'oeil sur
les artistes du quartier. Mais les événements en ont à chaque fois décidé autrement :
en 1995, c'était la période des municipales et, comme ces élections-là étaient prévues
de longue date, nous y avions consacré un numéro spécial. En 1996, notre organisation
affrontait une situation 'insolite' (dossier du n° 16). Alors, cette année,
nous nous sommes dit qu'il était quand même grand temps de s'intéresser au sujet.
Comme toujours, notre regard est subjectif, allant de l'art à l'artisanat
d'art, pour regarder autrement un si vaste domaine. Nous avons bien conscience de
n'avoir fait qu'effleurer le thème, mais finalement, notre vocation n'est pas la
critique d'art, mais plutôt la place de l'artiste dans son quartier. Et l'avantage,
c'est que, conscients de tout ce que nous n'avons pas dit, nous pourrons y revenir.
La crise de l'art est-elle soluble dans le canal
N'en déplaise au génie de la Bastille, l'art remonte désormais les rives du canal Saint-Martin et les artistes du 10e ouvrent la porte de leurs ateliers. Implantées dans l'arrondissement en 1994, les Journées Portes ouvertes sont une des manifestations inaugurales de la saison estivale.
Mais quelle est la philosophie des portes ouvertes ? Occasion de flânerie dans le quartier, certes : le nez en l'air, l'itinéraire à la main, l'amateur cherche à débusquer l'atelier caché au fond de la troisième cour d'immeubles, ou monte timidement l'escalier de bois menant au repaire intime de l'artiste. Beaucoup plus, selon l'association Art Kanal 10, présidée par Tatiana Tonneau-Kléménoff et les artistes qui y participent. Les Portes ouvertes qui inscrivent la rencontre directe entre les artistes et le public dans leur projet font partie d'une démarche plus globale de réflexion sur l'art et de remise en question de la création. Désacralisation, contact avec l'accrochage in situ, au milieu des matériaux et techniques travaillés par les créateurs ; participation du quartier et mise à disposition des lieux les plus insolites aux artistes sans atelier. Mais aussi réflexion sur le concept même d'ouverture : qu'ouvre-t-on, à qui et pour remédier à quelle fermeture ?
Narcissisme de l'artiste
Fondée en 1993, l'association Art Kanal 10 s'est donnée pour premier objectif de faire un répertoire des artistes travaillant dans le 10e, tâche de repérage qui débouche inévitablement sur l'inter-connaissance et la surprise d'apprendre qu'on n'est pas seul dans sa tour d'ivoire. Casser l'individualisme, voire le narcissisme inhérent à tout acte de création et pas seulement dans le but de faire face aux dures réalités du marché de l'art actuel et de la démission des galeristes à jouer leur rôle de promotion ; mais aussi pour avancer dans la définition d'une véritable politique culturelle que les professionnels de la politique sont impuissants à mener. La mise en place d'un conseil d'éthique au sein de l'association Art Kanal 10 a cherché à conceptualiser la philosophie des manifestations d'exposition artistiques à partir de la mise au jour de la démarche de chacun. Le conseil n'est ni un syndicat de défense des créateurs ni un séminaire de sociologie de l'art mais un lieu d'expression des forces créatrices en présence. Il existe comme mise en exergue des problèmes des artistes face au public et au marché de l'art. Son fonctionnement peut amener le milieu des galeristes à être plus conséquent tout en décourageant les peintres du dimanche : faire tomber les barrières entre l'oeuvre et son public mais maintenir la limite entre création et esthétisme.
Autogestion
Art Kanal 10 est autofinancé par la cotisation des artistes et bénéficie d'un partenariat privé. En 1995, TV Câble avait assuré un soutien vidéo et l'Opus café avait offert la soirée de vernissage. En 1996, Paris Canal croisières avaient offert une croisière sur le canal pour la présentation à la presse. L'idée n'avait pas beaucoup plu aux journalistes, sans doute apeurés de se voir prisonniers sur un bateau. La SNCF offre également chaque année un appui logistique en ouvrant ses espaces publics aux exposants. Le vernissage du vendredi 13 juin aura lieu dans le hall de la gare de l'Est. Il servira également de point d'information distribuant les itinéraires et emplacements des ateliers. Tandis qu'une exposition tournante se tiendra dans la galerie du premier étage. Une cinquantaine d'artistes participera à la démarche Un jour, une exposition.
Préparez vos baskets
Si on reste dans une logique de marché, le bilan des Portes ouvertes apparaît positif. De 40 artistes en 1994, la participation est passée à 90 en 1997. Il est donc recommandé de se munir de baskets pour effectuer la tournée des ateliers. Mais le but n'est pas de faire marcher les gens. Il est de réduire la distance entre peinture, sculpture ou photographie et les visiteurs. La manifestation aurait, pour certains, valeur pédagogique puisque les dits visiteurs ne sont pas tous des amateurs d'art avertis. On ne sait donc plus qui a le plus peur d'affronter l'autre : un tout public prêt à se défendre face à des oeuvres parfois difficiles d'accès ; ou l'artiste qui ne connaît pas à l'avance les réactions de ce nouveau public venu en voisin. Le succès de l'opération se mesure en éloges mais aussi en possibilité de ventes et de contact. L'art à portée de tous ce serait aussi la possibilité donnée à tous ceux qui n'y penseraient pas de s'offrir de l'art.
Les quartiers participent
La plus grande réussite, c'est sans doute la participation du quartier, des services publics aux commerçants qui offrent leur concours, repoussant les murs des ateliers trop exigus. Mais doit-on pour autant tomber dans l'angélisme ? Pour continuer à disserter sur l'ouverture, à quelles conditions se produit-elle ? Remplace-t-elle le dialogue interrompu, impossible entre créateurs et médiateurs culturels - marchands ou politiques - ? A défaut d'enfoncer les portes, c'est à dire de mener un travail de fond sur le phénomène de la création - que répercute-t-elle d'un monde en crise ? - et sur le regard - comment capter la perception d'un public, l'amener à s'arrêter longtemps sur une oeuvre jusqu'à l'imprégnation ? - la manifestation se cantonnerait-elle dans la facilité de la culture kermesse ou de la culture consommation ? Et le fourmillement des associations ne témoigne-t-il pas du vide des institutions patentées ? Il faut alors parler de portes ouvertes (et pas des), pour ne pas occulter le fait que les artistes de renom n'ouvrent pas les leurs ; pour ne pas ajouter au brouillage des références que tend à susciter un unique parcours unissant tous les ateliers.
Le 10e : du sexe aux banlieues
C'est pourquoi il faut replacer les Portes ouvertes dans une manifestation artistique plus vaste, resituer les ateliers dans l'arrondissement dont une extrémité ouvre sur le monde du sexe, l'autre, à travers ses deux gares, sur les banlieues est et nord « réputées difficiles » selon la terminologie en vigueur. L'exposition de la gare de l'Est, Un jour, une expo, redonne ainsi une identité à chaque créateur. Conçue comme avant-première, elle offrira au passant qui saura, peut-être, s'arrêter entre deux trains, la pluralité des démarches créatrices, une critique sur la conception d'un art à la portée de tous. Comme cette vidéo, dont le titre 300', 30 000 F, 3 M de lumière veut mettre l'accent sur la valeur sociale et symbolique du chiffrage des oeuvres et du temps qui leur est consacré.
Annie Benveniste
Passages Dell'Arte
« Animer notre quartier », c'est le projet que se sont fixé huit artistes peintres du 10e, aujourd'hui regroupés en association 1901 : Passage Dell'Arte. Pour cela, l'association cherche à développer autour des arts plastiques une sensibilité à l'expression et à la communication non verbale. Elle vise également par des actions festives à mobiliser les habitants de ces quartiers, afin qu'ils se sentent des « habitants à part entière », et non pas des « passants ».
Juan Morales, artiste peintre amoureux et habitant du Passage Brady découvert, raconte la naissance de l'association : « au moment des Portes ouvertes de juin dernier, on m'a invité à aller au quartier Sainte-Marthe, on m'a dit c'est là, c'est le coin branché, et quand ils m'ont montré le quartier Sainte-Marthe, je me suis dit, qu'est ce qu'il y a ici qu'il n'y a pas chez moi ? »
Le ton joyeux et chantant, il poursuit, « avec des amis, on a décidé d'organiser une fête ». Aussi, fin septembre 1996, le passage Brady se transforme en théâtre et les commerçants en animateurs de quartier. Dans une ambiance de kermesse, des enfants maquillés s'asseoient en rond autour des clowns et des mimes, tandis que les passants flânent dans des boutiques devenues galeries d'art.
« C'était sympathique, ça a donné une atmosphère de fête, ça faisait de l'animation, dans les vitrines des magasins on a mis des tableaux, c'était l'art dans la rue… ».
De ce premier succès local naissent des projets de plus grande ampleur. Rassembler les gens du quartier sur autre chose que des problèmes est sans doute la dynamique essentielle de la toute jeune association. Et ça marche ! Originellement centrée autour du passage Brady, les projets s'élargissent aux autres passages du quartier qui se découvrent une identité commune.
Actuellement en contact avec les copropriétés, le conservatoire de musique, les écoles et les troupes de théâtre et les nombreux commerçants et artisants du quartier, l'association a déposé un projet à la mairie dans le cadre du DSU (cf. Gazette n° 19) : ateliers destinés aux enfants de 7 à 77 ans, fresques murales, fêtes de quartiers, etc.
Thomas Brosset
La fête des passages
Dans des locaux prêtés par les commerçants pour le week-end et transformés pendant deux jours en espaces culturels (exposi-tions de peintures, photos…). Ponctuée d'animations de rue (mime, danse, musique…en collaboration avec d'autres associations du quartier), cette fête sera organisée autour d'un circuit permettant la (re)découverte des nombreux passages du quartier par les visiteurs.
Les ateliers
Les ateliers se proposent d'offrir des conditions qui permettent
aux participants de s'engager dans une démarche créatrice personnelle.
L'artiste fait médiation dans la mesure où, habitué à explorer toutes
les possibilités de son imaginaire, il est sensible et ouvert à des
imaginaires qui n'ont que peu d'occasions de trouver à s'exprimer.
Plusieurs ateliers sont en projets :
- Création picturale.
- Design : « jouons à créer ».
- « Rêver ton
quartier ». Donner aux jeunes la possibilité d'imaginer ce quartier
autrement, afin de devenir un citoyen actif et créateur de la vie du
quartier.
- Atelier Couleur.
- Créer le présent.
- Textile.
La galerie urbaine
Mise en place en relation et avec la participation des habitants, de décors peints ou autres créations plastiques dans les passages. Créer ainsi un espace dans l'espace du passage où le promeneur puisse découvrir des oeuvres inédites.
Prochaine édition
4 et 5 octobre 1997
Contact :
Juan Moralès
1, passage Brady
75010 Paris
Tél. : 01 42 06 09 32
Le 10e plie mais ne rompt pas
Pliages en papier, origami (du verbe oru plier et kami papier), que l'on
soit membre du MFPP (Mouvement français des plieurs de papier) ou du BOS (British
Origami Society), l'important, c'est de plier du papier. Au fait, saviez vous que
la fameuse cocotte est un pliage d'origine espagnole ?
Un point commun entre
Lewis Caroll et Pablo Neruda ? le goût du pliage.
Perroquet
confectionné par Daniel Broc, en exclusivité pour La Gazette.
Le MFPP a été fondé dans le 10e par Jean-Claude CORREIA.
Les réunions de pliage ont lieu deux à trois fois par mois, le samedi après midi, au :
56, rue Coriolis,
75012 Paris
Tél : 01 43 43 01 69
Au royaume des illusions
La carte de visite de Claudine Bouvier indique : Trompe l'oeil, Bois,
Marbres, Patines, Panoramiques.
Une porte en chêne, peinte imitation acajou, une entrée de château dans un couloir, des nuages et des anges sur le ciel bleu de la salle de bain, les veines de marbre peintes courent sur les feuilles de papier.
Et, ce qui plaît le plus à Claudine, des marbres peints, découpés, pour faire de vraies marqueteries d'imitations. S'agit-il d'artisanat, ou d'art ?
Daniel Broc
Quai cristal
Les trésors sont souvent cachés, on peut passer à côté des centaines de fois sans le savoir. C'est un peu le cas des Cristalleries Schweitzer.
Au moment où la maison a été créée sur les berges du canal Saint-Martin, en 1890, sa spécialité était la gravure sur verre. Aujourd'hui l'essentiel de l'activité consiste à restaurer des pièces endommagées ou à refaire à l'identique des objets cassés. Le cristal brut arrive d'une fabrique du sud de la France et, contrairement au cristal de Bohème ou de Venise, chauffés comme du vulgaire verre, il est travaillé à froid pour en conserver la finesse : c'est la main de l'homme qui taille, polit, et chouchoute une matière première particulièrement fragile. Pour sculpter un verre de table, il faut environ trois heures et beaucoup de talent ; il faut une dizaine d'années aux jeunes tailleurs pour devenir des virtuoses ! Or la maison Schweitzer est la dernière cristallerie parisienne et elle n'en emploie que deux. S'agit-il d'un art en voie de disparition ?
La visite de l'atelier s'impose : la mécanique qui entraîne les différentes machines date de l'origine de la cristallerie. Les courroies tournent toute la journée dans une ambiance qui fait plus penser à l'essor industriel du XIXe qu'à notre ère pleine de « tique » et parfois de toc !
La cristallerie a travaillé pour les cours de Russie et d'Angleterre et plus récemment pour d'illustres happy few de la politique et du show biz, comme le montrent les nombreuses photocopies de chèques qui ornent les murs.
« L'oeuvre d'art », constatait André Breton, « parait dénuée de valeur si elle ne présente pas la dureté, la rigidité, la régularité, le lustre sur toutes ses faces extérieures, intérieures, du cristal ». La petite entreprise du quai de Jemmapes en est l'image lumineuse. Fiat Lux !
Benoît Pastisson
Cristalleries Schweitzer,
84, quai de Jemmapes
Tél. : 01 42 39
61 63
Vive le Pi n'Art…
15 000 mètres carrés dans Paris, qui dit mieux ! Le Pôle Pi qui s'est installé au 60, bd de la Villette depuis l'automne 96, ne manque pas d'air. Au départ, un petit groupe de 15 personnes occupe les lieux. Aujourd'hui, ils sont plus de 250, dont une trentaine habite sur place.
Le bâtiment, ancien lycée appartenant au conseil Régional d'Ile de France, était déserté depuis 1994. Le pillage avait sérieusement commencé. Les nouveaux arrivés, dont plusieurs viennent de la Forge (le célèbre squat de la rue Ramponeau), essayent de structurer l'endroit : un peu à l'image des anciens entrepôts frigorifiques du 13e arrondissement, ils veulent réserver cet espace à la création. L'accès est réservé en priorité aux artistes. Actuellement, plus de 40 associations viennent répéter dans les anciennes salles de classe. Pour cela, il faut payer à chaque fois le « radis » (Revenu automatique destiné à l'intendance et la sécurité), qui correspond à 5 francs, ou une location mensuelle de 100 francs. À ce prix là, sur le marché parisien, on peut louer 1 mètre carré ! Il n'existe pas de structure de coordination, afin d'éviter que les pouvoirs publics puissent avoir un interlocuteur direct.
Dans cet ancien lycée qui comporte plus de 80 salles et qui accueillait un millier d'élèves et 200 profs, une plaque commémorative nous plonge dans le triste labyrinthe d'un passé douloureux : « École municipale Diderot : La société amicale aux anciens élèves morts pour la patrie ». Les noms des dizaines de disparus qui suivent sont paradoxalement la trace la plus apparente de la destination originelle du bâtiment.
Mais ici, on pense surtout à l'avenir. Le projet Pi Pôle 2000 souhaite organiser une immense exposition pour le début du prochain millénaire. De nombreux artistes sont déjà à la tâche. Mais sera-t-il possible de tenir jusqu'à cette date symbolique ? La lettre grecque Pi signifie qu'on connaît le commencement, mais pas la fin. Une belle façon de programmer l'illusion…
Dans ce capharnaüm, trois points forts à visiter en priorité : l'amphi-salle de spectacle avec bureau d'écolier d'époque écriture à la plume, la cheminée en brique à la Zola, et la terrasse avec vue post-atomique sur Paris. Pour sûr, la meilleure façon de s'enivrer, c'est encore le Pi n'Art.
… et vive les Na n'Arts !
Ambiance plutôt anarcho-syndicaliste dans ce squat. Logique, puisque le bâtiment fut le siège du syndicat des métallurgistes dans les années 50. Pourtant, la façade, aujourd'hui réaménagée, fait plutôt penser à la dernière cavalcade du facteur Cheval : des débris morcelés de carreaux aux couleurs de l'arc-en-ciel s'agglutinent autour de résidus d'arbres antédiluviens. Ça sent la framboise et l'asticot.
Ici, on ne vise pas le très long terme, on a conscience d'être en transit. La
création d'un mot-valise était donc particulièrement adaptée : le squart
(squat + art). L'accent est mis sur la récupération de matériaux d'idées. Rien n'est
obsolète quand les neurones échappent au presse-purée de la consommation pré-mastiquée.
Pas besoin de dépenser pour penser. Des installateurs en performance et transformance
côtoient des marionnettistes, des musiciens, des sculpteurs, des peintres… Tout
y est possible : par exemple, quel point commun peut-il y avoir entre des vieux
bidons déglingués et Géricault ? Une embarcation de fortune, copie néo-kitsch
du radeau de la Méduse, qui a tangué quelques heures sur les eaux troubles
du canal Saint-Martin. Parmi la quarantaine de personnes qui fréquentent les studios
et ateliers, la moitié en ont fait leur crémerie, trois bouts de chou compris.
Tout baigne quand il y a de l'eau. Mais comme elle a été coupée deux fois, le raccord se fait aujourd'hui sur une pompe à incendie, avec l'accord de la compagnie des eaux. Pourquoi chercher à comprendre quand le système D est plus fort que Descartes…
Tous les mois, on vernit une exposition, mais pour combien de temps encore. Le proprio veut vendre aux enchères. Quand ce sera fait, les squartisants n'auront plus que quelques mois pour aller se patater. Heureusement, le nom des membres du collectif est de bonne augure : Zen Copyright et le Comité Incontrôlable. Comparé à l'Art officiel, le Na n'Art, c'est du nanan. Bien fait.
Benoît Pastisson
Pôle Pi
60, bd de la Villette
ouvert le samedi matin au public.
Collectif de la Galerie Squart
31, rue de la Grange-aux-belles
Un photographe du quartier
La Gazette est un tremplin pour ceux qui l'écrivent, tout le monde vous
le dira. Prétextant du thème de ce numéro, il nous a été donné d'approcher un maître
photographe.
Rencontre avec Sébastiao Salgado.
Sur les bords du canal Saint-Martin, dans l'agence Amazonas où six personnes s'emploient à diffuser ses images dans le monde, nous attendons la star en contemplant ses photos qui tapissent les murs.
Côte à côte, un camion emporte à vive allure un chargement de cercueils vers une destination que lui seul connaît, tandis que deux chérubins lèvent les yeux au ciel.
Un air de salsa et un rayon de soleil nous emmènent un peu plus loin que le 10e…
La silhouette du photographe se dessine enfin derrière le store qui filtre la lumière du Canal.
« Il revient d'une conférence, il est toujours retenu par les étudiants, à la fin… » nous a dit une de ses collaboratrices. Monsieur Salgado est un homme occupé, attendu et sollicité de toutes parts… « Tu dois rappeler Canal Plus » lui dit-on alors qu'il franchit le seuil. Lui paraît détendu et souriant, mêle le brésilien au français, prend son temps.
« Je viens d'arriver dans le 10e, on est ici depuis fin 95, tout juste un an et demi. Je me sens très bien ici, il y a une politique de quartier, un comportement de défense des habitudes, de l'environnement, du milieu artistique… Il y a un climat communautaire très important et très intéressant, avec les expos, les petites fêtes, les réunions, les rencontres dans les restaurants, les cafés… »
À propos du thème de l'interview - les artistes du 10e, il se fait modeste : « Je ne me considère pas vraiment comme un artiste, dans le sens de créer un art, un objet d'art. Je ne travaille pas sur des objets, je suis un photographe, je fais des photos documentaires, sociales. Bien sûr, j'ai publié un certain nombre de livres, des expos, tout ça… Un peintre crée un objet d'art bien déterminé, un écrivain passe des mois à écrire son livre, tandis qu'un photographe n'a qu'une fraction de seconde pour matérialiser quelque chose, qui devient objet d'art s'il résiste à l'histoire, s'il résiste à la critique, au temps, s'il raconte une partie de notre monde… Je me considère comme un créateur, bien sûr, je crée quelque chose, mais de là à me considérer comme un artiste… je peux me catégoriser parmi les créateurs du 10e, mais pas dans les artistes du 10e… »
Parlant du quartier, il se fait gentiment charmeur, poète, flatte un peu au-delà du crédible dirons les mauvaises langues, mais qu'importe… « J'adore le Canal, je trouve que ce n'est pas seulement un des plus beaux endroits de Paris, mais du monde… Je connais peut-être cent, cent-dix pays… Les arbres, le mouve-ment mécanique des eaux, les écluses, les bateaux, je trouve cela magnifique. C'est un endroit qui n'est pas trop touristique, qui reste très parisien. Pour moi c'est un peu la matériali-sation de la paix… »
Avec énormément de patience et sans doute un peu de lassitude, il poursuit : « le 10e est un compor-tement, une façon de vivre. Il y a un esprit, une bonne volonté dans l'air. Beaucoup de quartiers sont très froids et individualistes, ici l'individualisme c'est un peu éloigné. »
À défaut de croiser Salgado sur les bords du Canal, lui qui avoue finalement passer huit mois sur douze à l'étranger et le reste de son temps parisien derrière les stores de son agence, penchez vous sur son dernier recueil, « Tera » (Éd. de La Martinière, 350 F).
Thomas Brosset
Murs du 10e
En balade dans le 10e, si on ne rase pas les murs, on peut entendre leurs murmures.
Les murs peints, illustration urbaine attirent le regard du promeneur curieux.
Passant rue de l'Aqueduc, derrière l'hôpital Fernand-Widal, un souvenir m'attendait : une ruine d'aqueduc sous un coucher de soleil violet rappelle la vision de l'aqueduc romain desservant Carthage, dont on voit encore des arches essaimées dans la campagne tunisienne.
Un peu plus loin, nous voilà en pleine mythologie, rue Demarquay, une Europe en construction est partiellement masquée par la trémie du puits d'entrée du chantier d'EOLE. Quel vent de poésie souffle là!
Je descend la rue La Fayette et, tournant la tête, me voilà encore voyageant
dans le temps : la fresque murale qui se dessine à la fourche de la rue La
Fayette et de la rue de l'Aqueduc me fait irresistiblement penser à cette publicité
de Savignac dans les années 60, pour de l'aspirine, où on voyait un visage traversé
de tempe en tempe (sic) par un ruban de voitures.
Plus bas, près du square Alban-Satragne, je crois être sujet à une vision mystique, mais non, saint Vincent de Paul s'esquisse bien sur un mur.
Et sur le boulevard de Strasbourg, à l'angle de la rue du Château-d'Eau, il y a une image surprenante, que je n'avais pas remarquée, tant l'effet de trompe l'oeil en fin de journée est bien fait, il y a l'ombre de l'arbre voisin peinte sur un mur.
Que les fresques murales du 10e oubliées me pardonnent, mais c'était juste une promenade au hasard des pas, sans aucun souci d'objectivité ni d'exhaustivité journalistique.
Jean-Michel Berthier
Les enfants d'abord
Entre la gare de l'Est et la gare du Nord, des dessins pleins de charme pour les enfants.
Elle habite entre les deux gares et elle est illustratrice pour des magazines féminins et pour la publicité. Un jour, elle se souvient d'une histoire que racontait sa mère, celle du petit lion qui repeint sa chambre, et elle n'a pas résisté à la dessiner. Quelques jours après elle retourne chez sa mère : « et l'histoire des petites pommes qui rigolaient ? » Elle ne s'en souvenait plus ; tant pis, il fallait la réécrire. C'est comme ça que sont nés Amandine et le petit lion et ses premiers livres pour enfants.
Quand elle attendait sa fille, est venue au monde une série de trois Lola, puis La pomme de Tom, La coquille de petit gris, L'oeuf de Mimosa, Le nénuphar de Nymphéa, et beaucoup d'autres; des objets livres pleins d'humour et de naïveté qui ont étonné même les petits. Son secret ? Comme dans un accouchement : « il faut que ça sorte naturellement, sans forcer, accepter le dessin et l'histoire comme elle vient, même sans chercher à "bien faire" ». Le résultat ? des oeuvres pleines de fraîcheur, d'originalité et de simplicité qui ont séduit même la critique. Elle vient d'obtenir le Prix de la critique de livres pour enfants 97, en Belgique.
(Bénédicte Guettier est éditée à l'École des loisirs et chez Casterman).
Delia Broc
Jeux d'aréoles au Père Lachaise
Barbedienne, c'est l'un des trois grands fondeurs du 19e siècle. Son atelier se trouvait au 63, rue de Lancry, dans le 10e. Boucher, a fait le modèle des statues qui sont sur sa tombe, au Père-Lachaise : le buste regarde la ligne de l'horizon, ce qui est très important parce que comme ça, il est indifférent à ce qui se passe en bas, puis les 2 muses : le Travail et l'Inspiration et au devant, notre chère petite qui représente la mort et qui a commencé à « travailler » il y a maintenant 3 1/2 ans.
Je
suis venu de longues journées attendre sur un pliant, derrière la tombe, à guetter
le passant pas du tout en voyeur, mais en observateur. En réalité, ça m'intéressait
parce que la réalité dépasse toujours la fiction. La 1e fois où j'entends
quelqu'un arriver, je lève les yeux et j'aperçois ce monsieur qui s'arrête :
il s'agenouille là, sur le rebord, et c'est très pratique parce que, vous voyez,
elle est frontale, n'est-ce pas, alors que généralement ce type de statue est retourné
vers le sujet et qu'il faut glisser sa… enfin, c'est très difficile.
Toujours est-il que je vois ce monsieur qui d'ailleurs enlève son chapeau, c'est un monsieur de l'ancienne tradition, et il se met donc à travailler, c'était très visible de là où j'étais. Et puis comme il n'y a pas de bruit, vous savez, une personne qui exerce une succion, cela s'entend. Toujours est-il que j'étais très timide et la première fois, je l'ai laissé échapper. J'avais remarqué un détail, c'est que la partie gauche, qui n'en était encore qu'au bord du mamelon, pas du tout au point où elle en est aujourd'hui, travaillait assez bien, mais que des gens avaient démarré la partie droite, qui d'ailleurs a toujours eu moins de succès.
Je m'étais dit, donc, il n'y a pas de problème, il va revenir. De toutes façons, il n'en est pas à ses débuts et peut-être qu'il travaille en alternance, ou alors, ils sont deux, on ne sait jamais. Toujours est-il que je suis revenu et j'ai rencontré un jeune garçon, et là, j'ai osé parce qu'il était jeune. Je suis arrivé, je me suis planté devant lui - imaginez qu'il n'était pas agenouillé, il n'avait pas trouvé la bonne technique : il était comme ça, un peu coincé, pas ridicule, mais enfin…
Je me suis planté là avec toujours mon air un peu précieux et distingué et je lui ai dit : « mais que faites-vous donc ? » à quoi il a levé les yeux et il m'a dit : « vous voyez bien ». Je lui ai dit : « y en a pour longtemps ? ». Lui : « je viens d'arriver et, euh , j'en ai bien pour 1/4 d'heure, puis je retourne à mon collège, à côté. » Parce qu'il était assez jeune, il avait 16 1/2 ans. Puis j'en ai rencontré toute une série d'autres. Je dois dire d'ailleurs maintenant que les gens viennent ici parce qu'ils ont entendu dire qu'on y venait. Ce ne sont plus des purs.
Alors, quelle est la leçon de tous ces gens, qu'est-ce qu'il m'ont dit ? Et c'est là où c'est passionnant :
La première chose, c'est que tous se sont accordés à me dire « elle est délicieuse et, qui plus est, elle ferme les yeux ». Comme m'a dit le premier monsieur que j'ai fini par rencontrer « moi, une femme qui me regarde, ça me glace ». Effectivement, là, il est tranquille, non seulement elle ferme les yeux, mais elle détourne la tête, ce qui fait qu'il travaille en toute impunité !
La seconde chose, c'est qu'à la fois elle est jeune fille, et en même temps déjà femme, ce qui est important.
La troisième chose, c'est qu'effectivement, elle représente la mort.
La quatrième chose, c'est que bon, ici on travaille à la langue, pas à la main. Ce qui d'ailleurs suppose un certain courage de la part du premier. C'est un peu comme celui qui pose la 1e pierre : quelquefois, elle vous tombe sur le pied. Là, c'est le vert de gris qui vous tombe dans l'estomac. Vous comprenez, on part d'un truc dans cet état, noir, vert de gris, et on obtient ces couleurs brunâtres, rouille, ocre, mais qui font que, comme me l'a dit l'un d'entre eux, « n'est-ce pas, quand on fait son travail sur le vif, ça s'en va tout de suite, quand on le fait là, ça reste, n'est-ce pas, il y a vraiment une œuvre qui est faite ! »
d'après Pascal Payen