La Gazette du Canal n° 18 - Dossier

(hiver 1996/1997)

Le journal de tout le 10e arrondissement de Paris

Dessous du 10e

Introduction

La Gazette s'est précipité avec gourmandise dans les dessous du 10e, histoire de chercher s'il n'y avait pas quelques histoires croustillantes, cadavres dans les caves ou petites crapuleries. Une fois le thème défini, notre joyeuse équipe s'est égaillée et au retour, sans que personne ne soit porté manquant, on s'est aperçu que « dessous » avait été compris de diverses manières : l'adepte des X-files s'est aventuré aux frontières du réel pour démasquer le complot, car il y en a sûrement un (ILS agissent dans l'ombre…), il est revenu bredouille, mais il est sûr que c'est parce qu'il a mal cherché. Plus pragmatiques, ceux-ci sont partis de concert chercher des taupes dans les caves de la mairie et ceux-là ont navigué sous le canal. Certains ont exploré le tunnel d'Eole (tout le monde est revenu avec ce je ne sais quoi dans le regard, indicateur d'une expérience marquante…) et tel autre, enfin, ayant compris « dessous » dans son sens le plus chiffon, a étudié la lingerie coquine.
Voilà, bonne lecture. La pince à linge n'est pas de rigueur, car nous vous avons épargné les égouts.



Un canal souterrain en hiver

À tout seigneur tout honneur, la visite a commencé sur le canal Saint-Martin. Pourquoi devient-il souterrain au niveau du square Frédéric-Lemaitre, dans le 10e, et poursuit-il sa course sous le 11e, jusqu'à la Bastille ? C'est cette énigme que nos reporters ont cherché à résoudre, en remontant le cours du canal pour trouver la lumière dans le 10e, c'était bien le moins.

Pourquoi un tunnel pour le canal ? c'est une idée d'Haussmann. Le canal permettait aux quartiers de Belleville et de Ménilmontant de s'isoler un peu trop facilement. Haussman voulait pouvoir y envoyer des troupes quand il le voudrait. Il a donc fait couvrir le canal de la rue du Faubourg-du-Temple jusqu'à la Bastille (vers 1860). Il a fallu pour cela déplacer la double-écluse juste avant le passage sous la place de la Bastille, et la remonter jusqu'à la rue du Temple. Ça permettait de baisser le niveau du canal, et de mettre un jardin par dessus, pour que : " les classes ouvrières puissent employer sainement une portion des heures de repos interrompant leur travail et toutes les familles riches et pauvres trouver des emplacements salubres et sûrs pour les ébats de leurs enfants " (sic). Nous aussi, on est des grands enfants, on est allé s'ébattre, mais en dessous, dans le souterrain, avec l'aimable aide du Service des Canaux.

En venant du port de l'Arsenal, on est prévenu tout de suite : " Attention, vous avez 18 minutes pour traverser le souterrain ". En effet, pour des raisons de sécurité, les bateaux ne se croisent pas, bien que le souterrain soit relativement large. Peu après l'entrée, la voûte s'abaisse un peu et s'aplatit : c'est le socle de la colonne de la Bastille. De part et d'autre, deux ouvertures laissent voir comme des vitraux. Renseignements pris, il s'agit des cryptes où reposent les victimes de la Révolution de 1830. Ensuite, le canal s'élargit (c'est la partie couverte par Haussmann). La promenade est tranquille. Il n'y a personne, que le bruit du moteur du petit bateau qui nous emmène. On aurait presque envie de marcher sur les pavés des berges, mais la moindre vague les submerge. L'ellipse de la voûte se perd dans le lointain, rythmée par les halos de lumière de novembre provenant des ouvertures au milieu de la voûte. Il ne fait pas très très clair quand même, mais moi j'aime bien (évidemment, ce n'est pas moi qui fait les photos). En passant sous les ouvertures, on peut voir le ciel, et quelques branches de la promenade du boulevard Richard-Lenoir. C'est un peu froid en hiver, mais calme, et plutôt plus propre qu'en surface. Personne ne vient déposer ses feuilles mortes ici.

Daniel Broc



Dans les entrailles de la mairie

L'occasion était trop belle, le thème des dessous nous a permis d'aller fouiner sous la mairie du 10e arrondissement. Curieux, nous nous sommes dit qu'avec un peu de chance, on allait pouvoir débusquer un opposant muselé, le plus vieux prisonnier politique de Paris ou comprendre enfin les dessous de la politique. Rien de tout cela. Nos rêves romantiques ont été déçus, mais la visite fut assurément intéressante.

Nous vous rassurons tout de suite, il n'y a absolument rien de commun entre les caves de la mairie du 10e et la rue Lauriston, si ce n'est l'utilisation de brique et de béton. Cette idée noire s'explique par les souvenirs de la seconde guerre mondiale qui sont immédiatement apparents : un gros bloc de béton donne un aspect un rien bunker à l'entrée par laquelle nous débouchons et ce n'est que le début. Un peu plus loin, au milieu d'un couloir, des blocs de béton en chicane coupent le chemin, sans doute des murs anti-souffle, et il faut zigzaguer pour arriver dans de vastes salles propres, bien éclairées et aux murs peints en clair. Ce sont les salles d'archives et d'entreposage.

La démocratie

Là sont stockées en particulier les urnes, isoloirs, vieux bulletins de vote, enveloppes, gommes, crayons, affiches, panneaux, etc. Bref, tout le matériel nécessaire pour les élections. Cela commence bien, nous voici directement au coeur de la démocratie. Séquence émotion, nous respirons enfin et oublions nos peurs. Mais revenons sur (sous) terre, comme nous l'explique notre guide, ce n'est vraiment pas pratique quand il faut remonter tout cela au travers des chicanes. Le béton est épais, et il n'est pas envisageable d'abattre ces cloisons. Et puis, on ne sait jamais.

Aux abris

Autres souvenirs de la seconde guerre mondiale : les abris. Ils sont encore quasiment en l'état. Une salle renforcée d'une ossature de poutrelles métalliques, avec quatre rangées de bancs de bois fixés aux montants d'acier et encore intacts. On imagine sans peine les habitants assis côte à côte attendant la fin de l'alerte. Détail étrange dans ce premier abri, quatre sculptures en stuc sont fixées aux quatre coins de la salle, modèles des sculptures des quatre quartiers de l'arrondissement qu'on voit au frontispice le la mairie. Il avait été question à une époque de les rénover et de les exposer dans une salle publique, mais scellées sur les murs en brique de l'abri, elles ont résisté à toutes les tentatives de dépose. Une porte permet de rejoindre un second abri, lui aussi renforcé de poutrelles métalliques, par un passage entièrement couvert de rondins, et solidifié par des étais en bois.

Suite et fin de visite

Au détour d'un couloir, un trou d'homme communique avec les égouts. Mais, pas la peine de rêver, il est scellé. Lors des dernières inondations, des reflux des égouts vers la cave a permis de constater un défaut d'étanchéité. Une cloison a donc été remontée, seule une grille laisse passer l'air. Un peu plus loin, un vestiaire d'ouvriers, électriciens sans doute, est encore intact sous la poussière. Au dos des portes d'armoires, une liste manuscrite et quelques photos des années cinquante, pas de pin-up en vue, ces précieuses estampes ont déjà été emportées, à la déception de Grongnongon. Les couloirs montrent les différentes strates des dessous de la ville. On aperçoit, ça et là, le long des murs de brique noircie, les marques de voûtes, sans doute d'anciennes structures souterraines qui ont été comblées lors de la construction de la mairie il y a tout juste cent ans.

Et après ce tour du propriétaire par le dessous, nous voici de retour dans le hall, à la lumière du jour, éblouis et émerveillés. Finalement, les tenues de spéléo que nous avions apportées ont été inutiles.

Jean-Michel Berthier



Géologie sommaire du 10e

Des alluvions déplacées

L'ensemble du bassin parisien repose sur un socle de craie datant du crétacé.

Du sud au nord, on rencontre les affleurements suivants :
- alluvions dans le tiers sud
- calcaire de Saint-Ouen
- sable vert infra-gypseux
- gypse, roche évaporitique formée de sels de calcaire.

Faire carrière

On ne trouve pas dans le 10e de carrière souterraine (sauf localement sur les franges). Par contre, le gypse y a été largement exploité, à ciel ouvert au nord de l'arrondissement.

Incontinence phréatique

Contrairement à une idée répandue, Paris n'est pas alimenté en eau potable par la nappe phréatique profonde, mais par des pompages dans la Seine et la Marne et par le captage de sources situées à quelques dizaines de kilomètres de Paris. Les problèmes de pollution sont assez nombreux (hydrocarbures, algues, nitrates, produits phyto-sanitaires, etc.) et peuvent contraindre à rejeter l'eau captée.

Les circulations d'eau souterraines dans les couches moins profondes sont très variables selon l'évolution des pompages, les failles, et aucune étude locale sérieuse ne peut être faite à ce sujet.

Cependant, on a pu constater que la nappe phréatique a baissé depuis un siècle, de 1885 jusqu'à 1970. Depuis, elle remonte et s'est stabilisée dans les années 1990.

On nous vole le gypse des poches

Les circulations d'eau ayant dissous une partie du gypse - roche soluble à raison de 2 grammes par litre d'eau - ont créé dans le sous-sol des poches de " vide ".

Mis en évidence dans les années 1960, ce phénomène a fait l'objet, le 25 février 1977, d'un arrêté interpréfectoral définissant un périmètre de risques relatif à ces poches de dissolution de gypse antéludien : le territoire du 10e est entièrement concerné par ce risque.

Où l'architecte fait plus que sondage

La tâche des architectes en est compliquée : toute construction neuve doit être précédée de sondages afin de détecter l'existence, ou non, sur le terrain de ces poches, situées entre 20 et 45 m de profondeur selon le faciès.

Des fondations sur puits de béton ou pieux forés sont souvent nécessaires pour prendre appui sur le bon sous-sol après que les éventuelles poches de dissolution ont été comblées.

(Pour savoir tout ce qui a pu être retrouvé dans les couches fouillées de façon fortuite ou lors de fouilles organisées, reportez-vous aux pages 16-17)

Jean Marandon

(Renseignements recueillis auprès de l'Inspection générale des carrières
1, place Denfert-Rochereau
75014 Paris).



Rue d'Alsace
le métro soutient la rue

Les riverains du chantier d'EOLE s'inquiètent, à juste titre peut-être, des conséquences sur la stabilité de leurs immeubles du percement d'une ligne souterraine à une trentaine de mètres de profondeur. Nous ne prétendons pas ici faire oeuvre d'experts pour régler d'éventuels litiges, mais seulement apporter une note d'optimisme, et présenter un exemple réussi de cohabitation souterraine métro-immeuble : Rue d'Alsace, c'est le métro qui soutient la rue.

Les travaux ont été effectués vers 1904. Les Nouvelles Annales de la construction d'août 1913, nous expliquent comment :

" À l'angle de la rue de Dunkerque et de la rue d'Alsace, le souterrain passe entièrement sous un immeuble à 6 étages, puis, après la traversée de la rue d'Alsace, s'engage en biais au-dessous du mur de soutènement de cette rue pour pénétrer sous la cour latérale de la gare de l'Est. Les fondations de la maison précitée se trouvaient presque à l'aplomb du piédroit gauche du souterrain ; elles furent reprises en sous-oeuvre. Elles furent dérasées jusqu'à l'extrados de la voûte, sur laquelle elles s'appuient actuellement. " (C'était simple, il suffisait d'y penser). " Grâce aux précautions prises, tout mouvement pût être évité, tant dans l'immeuble que dans le mur de soutènement de la rue d'Alsace ".  Et, apparemment, ça tient toujours !

Gérald Masnada, Daniel Broc

(Un grand merci au département du Patrimoine de la RATP)



Visite de la future gare Magenta

La visite commence par une présentation vidéo. Heureusement qu'on nous a prévenu, c'est un rien prétentieux. Toute la mythologie y passe, Eole, le Minotaure, Hercule, etc. Pas une phrase où ne se glisse le mot épopée. Après cet apéritif qui nous a mis en condition (fous-rires ici et là) et quelques explications plus techniques, nous enfilons la tenue de chantier (le port du casque est obligatoire), et nous voilà partis dans les entrailles de la terre.

La gare Magenta, immense caverne de 228 m par 53, équivalent en volume à la tour Montparnasse, part de la patte d'oie rue Lafayette, rue de l'Aqueduc et rue du Faubourg-Saint-Denis, s'étend vers le nord sous le pâté de maisons entre le Faubourg-Saint-Denis et la rue de l'Aqueduc, et va un peu au delà de la rue Demarquay. Le radier (la base) est situé à 30 mètres de profondeur, directement dans les sables de Beauchamp, et donc frôle la nappe aquifère qui culmine à -29 m. Ce qui a posé deux problèmes géologiques lors de sa construction : la mobilité des sols et l'étanchéité.

Un peu de technique

La gare Magenta est formée d'une grande voûte centrale, à deux voies et de deux tubes latéraux à une voie. Elle a été creusée suivant la technique de la " Méthode autrichienne ". On creuse d'abord des tunnels au niveau des butées latérales de la voûte centrale, on y coule alors les culées en béton qui vont servir d'appui pour la construction des deux galeries latérales. Puis la grande galerie centrale est creusée et couverte suivant le principe de la voûte active (blocs préfabriqués de béton, et clé de voûte).

Le gros oeuvre est achevé à 80 % et la livraison est prévue en 1998.

Plongée dans le goufre

Nous accédons par la rue Demarquay qui sera l'entrée nord. Les escaliers s'enfoncent dans le puits, forêt de poutrelles d'acier. Nous traversons la galerie Demarquay, séparée de la salle RER de la gare du Nord par un simple mur. Et au détour d'un couloir, voilà l'immense cave. Le spectacle est impres-sionnant. À un bout, loin loin là bas, on s'affaire sur le radier ; toute la voûte, d'une dizaine de mètres de haut, est terminée, en béton blanc glacé. Au milieu, des échafaudages le long des parois où les ouvriers travaillent (au marteau et burin) à la finition des murs. À l'autre bout, on creuse encore, les machines à attaque ponctuelle mordent la terre, suivies par les boulonneuses qui renforcent, et la machine à pose de voussoirs attend son heure pour préparer une nouvelle tranche. Tourbillon des tomberaux emmenant la terre (le transport est fait sous terre par bande transportable pour éviter les rotations de camions dans Paris).

Retour à la lumière

Nous traversons toute la gare, et débouchons à la sortie sud, rue du Faubourg-Saint-Denis. On voit le ciel de nouveau, au sommet de ce puits de 30 m. L'ascenseur nous remonte à la surface, soufflés, même si nous n'avons pas eu à traverser le Styx, ni à payer Charon pour le passage, heureusement.



La rue des Vinaigriers fait de la résistance

Au début de la rue des Vinaigriers, juste à coté du canal, plus exactement juste en dessous, puisque la voie est plus basse que l'eau, le promeneur égaré reste intrigué par le nom que porte une ancienne échoppe transformée en amicale : le Cercle des Garibaldiens.

L'étonnement et l'amusement suscités par cette appellation quelque peu insolite se transforme en admiration et respect lorsque l'on pousse la porte pour avoir une explication de texte : Darno Maffini, 89 ans, bottier à la retraite, préside l'association française d'anciens combattants volontaires et résistants garibaldiens. Le 28 octobre 1922, alors que Mussolini marche sur Rome, il décide de fuir Vérone et vient s'installer à Paris. Il va alors se battre, avec beaucoup d'autres compatriotes exilés, pour la défense des peuples soumis à une dictature. Ainsi, en 1936, avant même la création des brigades internationales, des Gari-baldiens iront se battre en Espagne au côté des républicains. D'ailleurs, le commandant Maffini est chevalier de la République espagnole en exil à Mexico. En 1939, amers d'avoir perdu par-delà les Pyrénées, ces combattants feront partie des premiers résistants français. En 1944, sur les vingt-trois fusillés du groupe Manouchian se trouvaient cinq italiens faisant partie des Garibaldiens.

La référence permanente au grand homme italien peut surprendre, vu de France. En fait, Garibaldi n'est pas seulement l'unificateur de l'Italie, il est aussi l'homme qui s'est battu pour une plus grande justice sociale et contre les gouvernements totalitaires. Les partis de la gauche italienne au XXe siècle font en permanence référence à cette figure de proue, républicain convaincu. Au siège de l'association, son portrait est partout, accompagné de l'image de Garibaldiens morts au combat. Dans cette mémoire jaunissante qui s'affiche sur les murs apparaît aussi la photo d'un membre dont les sept enfants sont morts pour la cause…

La mixture rouge sanguine que fabriquaient les vinaigriers n'a rien à voir avec la couleur des chemises ou des idées des Garibaldiens. S'ils sont implantés ici, c'est parce que l'un des membres qui habitait le quartier a trouvé ce local ; loué dans un premier temps, il put être acheté grâce au soutien de l'éditeur Del Duca et de sa femme.

Aujourd'hui, il ne reste plus qu'une quinzaine d'anciens combattants en région parisienne. Mais les familles continuent de transmettre la mémoire de ces hommes épris de liberté, puisque l'association compte 220 membres. La permanence a lieu tous les samedis - en français et en italien !

Benoît Pastisson

Cercle des Garibaldiens
20, rue des Vinaigriers
Tél. : 01 46 07 21 68



Dessous remboursés par la sécu

Les profondeurs du 10e peuvent parfois effleurer la légèreté de l'être ! Une vieille boutique du faubourg Saint-Martin, spécialisée dans les froufrous orthopédiques, propose une gamme très large de produits, dont certains sont remboursés par la Sécurité sociale. A consommer avec délectation.

Quatre générations se sont succédées aux commandes des établissements Claverie. Le navire amiral, échoué depuis plus d'un siècle près de la sortie du métro Louis-Blanc, fut, à la grande époque, entouré d'une flotte de quarante boutiques dispersées à travers toute l'Europe et les colonies.

Nostalgie coloniale

La maison doit son fulgurant succès à la gaine de maintien, qui entoura des générations de petits corps tendrement féminins. Qu'il est émouvant, ce temps où la Chine avait ses pieds bandés, l'Afrique ses cous de girafe et l'Europe ses corsets affriolants ! Aujourd'hui, cet obscur objet d'anciens désirs ensevelis n'est plus porté que par des vieilles dames très respectables. La maison proposait bien d'autres produits : jambes de bois (il en reste quelques-unes entassées en vrac dans un placard-grenier) pour estropiés de la première guerre mondiale, bandes en tout genre, chaussures podologiques, etc.Tous les produits étaient fabriqués dans l'arrondissement, et notamment dans les bâtiments qui sont derrière la boutique. Actuellement, la maison ne produit plus, elle ne fait que distribuer. De reconversion en reconversion, elle a scindé ses activités en deux directions à la fois complémentaires et contradictoires : à droite du porche, une orientation traditionnelle, orthopédique, avec en plus du matériel médical pour handicapés et des articles paramédicaux. A gauche, un reflet de l'inéluctable évolution du monde : une lingerie évanescente pour femmes femmes allant du sous-vêtement de base au maillot de bain fleuret moucheté, sans oublier bien sûr la guêpière coquine, achetée surtout par des hommes qui prétendent en faire cadeau à leur femme alors que c'est eux qui en profitent le plus !

On se fait son cinéma

Certes, l'ortho-pédie et la sensualité peuvent laisser de marbre. Alors oublions un instant les voiles et l'accastillage pour ne regarder que l'embarcation. Le bâtiment est une pure merveille de style Napoléon III, soutenue à l'extérieur par des mâts métalliques. Une fois franchie l'écoutille conduisant à la lingerie fine, un escalier en acajou conduit vers la capitainerie de la société. plusieurs scènes de films y ont été tournées. Au début du Viager, le bandagiste (Jean Gabin) prend sa retraite ici. Dans La Fille de l'air, c'est Béatrice Dalle qui s'y trémousse. Tout récemment, la série charme de M6 est venue s'y vautrer dans le satin. Le premier étage est aujourd'hui désert. Les petits salons d'essayage ont été abandonnés, livrés à la nostalgie. Des diplômes et des prix gagnés lors d'expositions universelles dérivent tranquillement dans une soute. Ils semblent émus de s'apercevoir qu'ici, on fait toujours dans la dentelle.

Benoît Pastisson

Établissement A. Claverie
234, rue du Faubourg-Saint-Martin
Tél : 01 42 09 29 07



Au trou : cachots et prisons du 10e

Le 10e arrondissement, largement en dehors des murs fortifiés, a accueilli en premier des bâtiments consacrés au culte : églises, chapelles, couvents et abbayes, c'est dans ces dernières que trouvèrent refuge les prisons nécessaires au développement de Paris.

Une des plus importantes et des plus célèbres de Paris, la prison de Saint-Lazare connut une grande longévité. Située dans le haut du faubourg Saint-Denis, elle dépendait des Lazaristes installés en cet endroit depuis fort longtemps, la date est imprécise, mais déjà en 1147 Louis VII s'arrêta dans la léproserie pour aller prendre l'oriflamme à Saint-Denis.

Son origine remonte à une sorte de maison " de redressement " destinée à remettre dans le " droit chemin " des jeunes gens de " bonne famille ". Les prêtres étaient chargés, moyennant une pension annuelle, de les garder et de les rééduquer selon les bonnes règles de l'époque. Les locaux de la prison se trouvaient dans un des trois bâtiments à trois étages construits par les Lazaristes entre 1681 et 1684. Les conditions de détention étaient spartiates, un long couloir central distribuait les cellules, les enfants ne pouvaient se voir, ne se connaissaient pas, ne se rencontraient jamais, même dans la chapelle ils se trouvaient complètement isolés dans de petites cages grillagées agencées de telle manière qu'ils ne pouvaient apercevoir que l'autel, de plus ils n'utilisaient que des noms d'emprunt, de préférence celui d'un saint. Les méthodes éducatives sont d'une autre époque, les privations de nourriture, le fouet et surtout la mise au cachot, avec ou sans chaîne, avec comme couche uniquement de la paille et comme nourriture seulement du pain et de l'eau ! Voilà le tendre milieu plein d'affection où les jeunes pouvaient s'épanouir même si les Lazaristes disaient préférer les exhortations aux sévices.

Mais il y avait la prison, la vraie prison Saint-Lazare, celle où étaient détenus les adultes qui étaient surtout victimes de l'arbitraire, les prêtres insoumis aux lois de l'église et surtout toutes les personnalités qui, par leur comportement, leur action ou tout simplement parcequ'ils avaient déplu au roi. Il suffisait d'une lettre de cachet sans la moindre justification ou explication.

Les plus hauts personnages de l'état furent enfermés ou même fouettés dans la prison Saint-Lazare, le plus célèbre fut Beaumarchais en mars 1785, pour un écrit un peu vif. De grands nobles comme Henri-Louis Loménie de Brienne (fils et petit-fils de secrétaires d'État), enfermé sur ordre du Roi Soleil pour crime de lèse-majesté, le poète Chapelle, le curé de Bonoy et bien d'autres connurent " l'hôtellerie " de la prison, moyennant une pension obligatoire d'une somme relativement coquette, le confort était directement lié à son montant. Jusqu'à la Révolution, la prison ne connut jamais un effectif important environ soixante personnes vers 1760, cinquante-quatre en 1771 et seulement une vingtaine au moment de la Révolution.

En 1793, tout l'ensemble ferme, léproserie et autres bâtiments furent transformés en une seule prison, la prison Saint-Lazare. Initialement prévue pour les femmes, elle reçut un grand nombre de personnes de tout sexe pendant la Terreur ; pendant ces tristes années, plus de sept cents personnes furent détenues avant de passer pour la plupart à la guillotine. Les plus célèbres étant André Chénier qui habitait non loin, il y composa " La jeune captive " en l'honneur d'une jeune détenue Aimée de Coigny, Roucher auteur " des mois ", ils partirent ensemble pour l'échafaud dans la même charrette. D'autres échappèrent à la décapitation : la duchesse de Beauvilliers, mademoiselle Dervieux, danseuse de l'opéra, le peintre Hubert Robert et son collègue Le Roy, ainsi que le célèbre marquis de Sade.

Après la Révolution, la prison devint d'une part jusqu'en 1896 une maison de correction pour jeunes filles et d'autre part une prison-hôpital pour femmes " importantes " ou pour les prostituées. Les femmes enfermées pour des raisons autres que la prostitution étaient dans un quartier spécial appelé " la pistole ". Les plus célèbres furent Louise Michel, Thèrèse Humbert, Gabrielle Bompart, madame Steinheil, Mata-Hari, le service d'ordre était assuré par les soeurs de Marie-Joseph.

Il ne reste malheureusement plus grand chose de la prison à part la chapelle, la cour et un grand bâtiment qui abrite aujourd'hui un service de gastro-entérologie de bonne réputation.

Alain Jouffroy