La Gazette du Canal n° 18 - Actu

(hiver 1996/1997)

Le journal de tout le 10e arrondissement de Paris

Éditorial

Une année se termine et l'équipe réorganisée part sur un nouveau pied. Notre ex- grand mamamouchi despotique et débonnaire a pris du recul, nous avons écrasé une larme, et réfléchi à cette nécessité d'un nouveau partage du travail.
La Gazette a besoin de forces pour réaliser tous ses projets futurs : il nous faut des énergies pour mettre en oeuvre les actions de terrain, continuer le développement de nos ventes, etc.
En attendant, nous sommes allés nous cacher dans les dessous du 10e. Il n'était nullement question de jouer à l'autruche, mais nous avions envie de voir quelle était la qualité des fondations sur lesquelles nous nous trouvions : pour sauter haut, mieux vaut avoir de bons appuis.
Sauf changement de dernière minute, notre prochain numéro concernera la santé.
Toute l'équipe de La Gazette vous souhaite une
Bonne année 1997  !



Réunions de quartier à la mairie

Une longue attente des habitants a enfin été satisfaite en cette fin d'année 1996, c'est l'organisation par la mairie du 10e de réunions de quartier. Suivant le découpage administratif, il y eut le quartier Saint-Louis le 8 octobre, Saint-Vincent le 5 novembre, Saint-Martin le 27 novembre, et enfin, la réunion sur le quartier Saint-Denis se tiendra le 17 décembre.

L'Organisation de ces réunions a été longue à mettre en place. Espérons que ce n'est qu'un début, et que les consultations régulières seront faites pour permettre aux habitants des quartiers de s'exprimer.

Dans la salle des mariages, une bonne partie de l'équipe municipale est présente, alignée sur l'estrade.

Chaque réunion commence par une introduction du maire, Tony Dreyfus, qui présente le quartier, les problèmes qui lui sont spécifiques et les actions qui y ont déjà été menées.

Le débat s'ouvre ensuite.Chaque élu intervenant en fonction de sa délégation pour répondre aux questions de l'assistance.

Saint-Louis

Cette première réunion a été marquée par un esclandre assez théâtral de M. Marcus, député RPR du 10e. Demandant la parole en début de débat, il annonce qu'il n'a été prévenu de cette réunion qu'à la dernière minute, et que la formulation de la convocation, " Le maire et la majorité municipale invitent… ", lui a paru par trop politique. Il aurait préféré être prévenu plus tôt et voir une formule du genre " Le maire et ses adjoints " qui, plus neutre, lui aurait permis de participer. On ne peut que lui donner raison sur ces points. Cependant, sa sortie était bien préparée, puisque, quittant la salle à la fin de son intervention, il a été suivi " spontanément " par une trentaine de personnes parmi lesquelles on a reconnu toute l'ancienne équipe municipale, l'ancien cabinet, etc. Les militants RPR s'étaient donnés rendez-vous. Ils ne sont plus revenus depuis. La réunion s'est ensuite déroulée dans une ambiance plus sereine. Après une bien trop longue introduction du maire et des élus, trop heureux de pouvoir s'exprimer enfin en public, le débat a permis l'exposition de tout l'éventail de ces petits problèmes de proximité qui, s'ils sont souvent compréhensibles, montrent parfois que l'autre fait peur.

Saint-Vincent

Voyez ci-dessous le compte-rendu qu'en fait Gérald Masnada. Cependant, une remarque, il a encore fallu attendre près d'une heure avant que le débat ne soit lancé.

Saint-Martin

Enfin, nous étions entendus  ! Après une introduction de 15 minutes, la salle a pu s'exprimer. Le débat était énergiquement mené par Monsieur le maire. La salle a alors vite compris qu'il faudrait finir à l'heure, car visiblement, il était attendu ailleurs. Le bruit du boulevard Magenta, les crottes de chien et les sacs de cheveux du boulevard de Strasbourg ouvrent le bal, suivis des problèmes de ce quartier liés au franges du Sentier. Le maire interrompt le développement d'une proposition de projet de revalorisation de l'habitat et des activités autour du passage Brady, qui semblait assez approfondie et réfléchie, nous n'en saurons pas plus. De même pour l'îlot Legouvé.

Ouf, il a pu finir à l'heure dans un embrouillamini mêlant drogués, SDF et questions de sécurité.

Intervention remarquée

Pour connaître les problèmes et répondre aux questions de ses administrés, l'équipe municipale a organisé des réunions. Le 5 novembre était réservé à Saint-Vincent-de-Paul, le quartier sensible des gares. Chacun y est venu avec son problème. Certains ne supportent plus les têtes de poissons déversées sur le trottoir par le restaurant chinois. D'autres sont fâchés avec les soirées Karaoké qui se déroulent au rez-de-chaussée. Normal, imaginez Yolande chantant Dalida et Gérard qui se prend pour Julio, déjà que les originaux peuvent agacer, alors les contrefaçons  ! Après ces anecdotes, cocasses dans une salle de conseil mais invivables quand elles se passent dans votre immeuble, j'ai failli m'ennuyer entre les blablas des conseillers et les histoires de parking des citoyens.

Puis Alain, SDF domicilié rue d'Alsace, a réussi enfin à prendre la parole. Cela faisait un bout de temps qu'il s'impatientait et lançait des signes désespérés. Mais il faut avouer qu'avec son béret et ses chaussettes montantes il n'avait pas vraiment l'allure d'un orateur habitué aux audiences, n'est-ce pas, Monsieur le maire. Il s'est expliqué sur les problèmes de la rue d'Alsace, le squat, les toxicos, les taggeurs. Il demande un peu de clémence aux riverains, en échange il essaie de surveiller " sa " rue. Depuis que les résidents exigent un homme en uniforme pour veiller sur leur quartier, profitez de l'occasion, Monsieur le maire, achetez une casquette et un sifflet de garde champêtre à Alain, il en a déjà la moustache.

Gérald Masnada



L'appel des sans-papiers

Les sans-papiers ont pris leur quartier d'hiver au 32, rue du Faubourg-Poissonnière. La pression médiatique autour de leur lutte est retombée, pourtant leur situation ne s'est pas améliorée. Pour toute régularisation, les pouvoirs publics ne leur ont offert que des récépissés de trois mois, sans ouvrir de médiation, misant sur la lassitude de l'opinion et la démobilisation au sein même du mouvement. Mais loin de s'affaiblir, celui-ci s'étend à l'ensemble du pays.
Entrevue avec Madame Madjiguène Cissé, leur porte-parole.

La Gazette du Canal : Que peut faire la population du 10e pour aider les sans-papiers ?

M. Cissé : Nous avons des besoins quotidiens. Pour les adultes, il s'agit d'entretenir et de nourrir une population d'environ cent cinquante personnes, il nous faut du riz, du sucre, de l'huile, du café, etc. Pour les enfants : du lait, des couches, de l'eau minérale. Pour l'hiver nous avons besoin d'habits surtout pour les femmes et les enfants.

Nous avons aussi besoin de soutien moral. Comme dans le 18e, nous voudrions que la population du 10e s'implique dans la lutte des sans-papiers, participe à nos forums et à tout ce que nous organisons. Nous avons des panneaux qui annoncent toutes les manifestations.

Des habitants du 10e pourraient aussi parrainer des enfants ou des familles. L'expérience du parrainage fonctionne déjà bien avec des unions locales ou départementales, des syndicats de profession.

Quelles sont vos relations avec la mairie du 10e ?

Le lendemain de notre arrivée, le directeur de cabinet du maire est venu nous voir pour nous accueillir dans l'arrondissement. Il nous a demandé ce que la mairie pouvait faire pour nous être utile. Nous avons été reçus par le maire en tant que représentants des familles. Nous lui avons posé le problème des conditions de confort et d'hygiène dans le local. Quand nous sommes arrivés il n'y avait pas de chauffage ; nous n'avons ni téléphone ni fax, la nuit les gens sont obligés d'aller à la cabine téléphonique qui se trouve assez loin, ce qui est risqué puisque nous sommes des sans-papiers. Nous n'avons pas non plus de salle de réunion assez grande. Sur toutes ces questions, ils n'ont pas pu nous aider. Par contre ils nous ont aidé à inscrire deux enfants dans des écoles du quartier et aussi à obtenir la cantine presque gratuite, cinquante centimes par repas, pour deux autres enfants.

Quand vous estimerez-vous satisfaits ? Quel est votre objectif, la régularisation des membres de votre groupe ou la modification des lois ?

Il faut changer les lois dans la mesure où elles ne sont pas bonnes. Nous faisons partie d'une coordination nationale qui regroupe plus de vingt collectifs sur l'ensemble du territoire, nous demandons la régularisation de tous les sans-papiers. L'Italie a procédé récemment à une régularisation globale, il y en a eu au Portugal, en Espagne. Régulariser les deux cent mille personnes qui demandent à l'être en France, ce n'est pas demander la lune.

Au delà de la régularisation il y a d'autres problèmes qui sont posés : pour les femmes étrangères par exemple celui de l'alphabétisation et du manque de formation.

Les sans-papiers et leurs porte-parole en particulier véhiculent une image qui n'est pas conforme aux stéréotypes habituels de l'étranger. Y a-t-il également une lutte sur le terrain symbolique 

Cette lutte est un long travail d'explication. Pour combattre les préjugés, pour renverser une tendance qui s'est installée depuis plusieurs années. Beaucoup de mensonges ont été distillés au sein de l'opinion qui prennent les étrangers comme boucs émissaires. La crise : " c'est parce qu'il y a des étrangers " - le chômage : " c'est parce qu'il y en a trop " - il n'y a pas de place dans les écoles : " c'est parce qu'on est envahis " - etc.

Notre combat est de rétablir la vérité. Les chiffres montrent que le pourcentage des étrangers dans la population française n'a pas varié depuis une soixantaine d'années. C'est le système qui produit des chômeurs, c'est le système qui en a besoin.

Le symbole que nous voulons véhiculer c'est celui de ces étrangers qui disent non, la situation est intenable, on ne l'accepte plus. On a décidé de se montrer au grand jour, on ne veut plus continuer à raser les murs. Les coups de hache sur les portes de Saint-Bernard c'était pour casser ce symbole - celui des étrangers qui osent dire non alors que leurs chefs d'Etat baissent les yeux lorsqu'on leur fait des remontrances.

Le deuxième symbole c'est celui de cette solidarité formidable qui s'est tissée autour de notre lutte. Devant l'église Saint-Bernard un millier de personnes passaient chaque jour, environ cinq cents passaient la nuit avec nous durant toute la deuxième quinzaine du mois d'août. Alors il fallait aussi casser ce symbole qui disait : dans ce pays de France il n'y a pas que Le Pen, il n'y a pas que des cons, il y a des Français qui se sont levés aussi pour que la démocratie avance dans ce pays, pour que les Droits de l'Homme et les conventions ratifiées par la France soient respectées.

Quelle est la place des associations à vos côtés ?

Quand on est arrivé à l'église Saint-Ambroise les associations ont tenté de nous récupérer. Si vous vous souvenez de la couverture médiatique à l'époque, les délégués des familles n'étaient pas bien visibles, il n'y en avait que pour certains présidents d'association. Si nous prenions le risque de nous montrer au grand jour c'était parce que nous devions être suffisamment mûrs pour diriger notre lutte. La bataille pour l'autonomie a été très dure au sein de Saint-Bernard comme au sein de la coordination nationale. On ne se serait pas battu pour diriger notre lutte il n'y aurait même plus de lutte. à plusieurs reprises, ils nous ont dit: " Vous n'allez jamais gagner, l'opinion n'est pas préparée, le gouvernement de droite est très dur, il vaut mieux rentrer à la maison, on va déposer les dossiers auprès d'une permanence juridique. " Nous avons dit : " Les dossiers y sont déjà depuis des années, on n'a abouti à rien. Ce n'est pas parce que vous allez nous soutenir que nous allons vous laisser penser et diriger à notre place. " C'est une mentalité paternaliste dont ils n'arrivent pas à se départir.

Au niveau de la coordination nationale, quand il s'est agi de nommer un secrétariat, les associations nous ont dit : " il faut que la solidarité qui existe à la base se reflète dans les instances de direction. " Nous avons dit non et le débat a duré quatre mois, de juillet à fin octobre. C'est fin octobre qu'on a obtenu un secrétariat national uniquement composé de sans-papiers.

Propos recueillis par Manu Loiret et Pierrette Gombert.



Hiver gare de l'Est

C'est fait, la petite aiguille des horloges a volé un tour de cadran pendant une triste nuit d'octobre, signal du passage dans la dernière saison de l'année. Beaucoup d'entre nous vont quitter leur nid douillet alors que le jour n'est pas encore là pour le retrouver lorsqu'il sera déjà parti. Ce brusque changement d'horaire n'est pas le seul présage annonçant l'hiver. Si les campagnards observent la mutation de la nature à partir de novembre, comme parisien, j'ai aussi mes repères. Ils sont aussi infaillibles que la disparition des feuilles de mon éphéméride.

Curieusement, le premier signe nous vient des rivages lointains, lorsque les mouettes viennent se réfugier sur le toit de la gare de l'Est. Certes, au début la pollution doit les incommoder, mais la nourriture est plus abondante et plus facile à trouver que sur les plages normandes. Autres signes, les vendeurs de marrons chauds qui se postent aux endroits fréquentés pour échanger un peu de chaleur contre une pièce de 10 F. Je les aime bien ces marchands de quatre saisons, avec leur poêle bricolé, leurs doigts noircis et leur visage emmitouflé dans une cagoule de laine - ils viennent souvent de pays ou le froid n'existe pas  ! Ce fruit hivernal, quel régal. J'en déguste des quantités sur le trottoir en attendant le bus, il réchauffe les mains et brûle la langue.

Parcours gastronomique

Mais l'hiver, c'est aussi la période où les provinces de l'Est s'exposent à la gare du même nom. La Franche-Comté inaugure le défilé fin octobre, j'en profite toujours pour acheter un pot de cancoillotte, une spécialité de fromage local, il faut goûter à tout  ! Puis la forêt des Ardennes envahit le hall banlieue. Un événement spectaculaire, arbres, animaux de la ferme, petit ruisseau, ce décor surréaliste s'installe chez les cheminots. Aux Ardennais, je prends du miel, pour parfumer les grogs  !

Deux semaines plus tard, Charleville-Mézières cède la place à Strasbourg. L'Alsace arrive, hélas sans ses cigognes, peut-être que des cheminées au dessus des verrières attireraient les grands échassiers. Avec les alsaciens, je complète ma cave en vin blanc. Le calendrier est bien respecté, l'arrivée des départements du Rhin coïncide avec la saint Nicolas, véritable tradition dans cette région. Saisissez l'occasion pour offrir un Saint-Nicolas en pain d'épices à vos enfants, on en trouve de toutes les tailles chez Schmid, face à la gare de l'Est. Racontez-leur aussi la légende, c'est mieux que Dragon Ball Z.

Marché de décembre

Et pour finir, en décembre, le marché de Noël campe sur le terrain de boules face à la rue des Récollets. Là, dehors et malgré le froid, un soir nous nous installerons en famille à table devant une assiette de tartiflette. Mon fils, Nicolas, n'apprécie pas beaucoup cette spécialité un peu trop rustique pour son palais parisien. En plus, ici il risque de rencontrer le père Noël qui va encore lui demander s'il a été sage cette année.

Gérald Masnada



Canal piéton

L'opération " canal piéton le dimanche ", si elle a jamais fonctionné correctement, se dégrade sérieusement avec la venue de l'hiver.

On remarque qu'il est rare que la fermeture des quais aux voitures soit effective dès 14 heures. C'est très dangereux, car les parents ont maintenant pris l'habitude de cette opération et disciplinés, ils se fient aux indications des panneaux pour libérer leur gamins qui gambadent souvent dès 14 heures.

Pour la réouverture, qui a souvent lieu avant l'heure prévue, c'est-à-dire 18 heures, il n'y a pas d'opération de reprise contrôlée avec avertissement des promeneurs. Là encore, on voit les véhicules débouler soudain au milieu des enfants. De plus, les effectifs sont insuffisants, et les barrières non surveillées sont déplacées par des automobilistes qui oublient de les remettre. Il se crée un flux soudain de véhicules non avertis qui, encore une fois, présentent un réel danger.

Faudra-t-il, comme toujours, attendre l'accident pour que la préfecture réagisse, comme cela s'est produit sur le quai de Valmy où une vieille dame a été renversée par une voiture devant l'école Louise-Michel, alors que les parents d'élèves avertissaient depuis très longtemps du danger que cette zone présentait pour leurs enfants.

Fête officielle

Pourtant, quand on a fêté à l'Hôtel du Nord les 90 ans de Marcel Carné, avec présence attendue du ministre de la culture et autres huiles de la République, sans parler du président de la même, dont la rumeur annonçait la venue, bien qu'il ne se soit pas montré, alors là, je vous assure que le bouclage des berges aux automobilistes a été efficace. Le passage était impossible toute la soirée, piétons et voitures étaient fermement priés d'aller voir ailleurs, à l'exception des limousines des VIP. Les effectifs policiers étaient cette fois-ci suffisants, et même en service de nuit. Alors, comment ne peut-on pas trouver deux agents supplémentaires le dimanche entre 14 h et 18 h pour assurer la surveillance des barrières. La charge pour le budget de l'état doit être équivalent à celui d'une seule soirée officielle comme celle-ci.

Jean-Michel Berthier

Dernière minute

Nous apprenons, au moment du bouclage de ce numéro, que les opérations voies sur berge et canal piéton ont été suspendues pour tout le mois de décembre, conséquence de la réactivation du plan Vigipirate à la suite de l'attentat du 3 décembre à la station Port-Royal.