Insolites demeures du Xe arrondissement
Le Xe a eu le privilège d'abriter en son territoire tout à la fois la plus petite maison et ce qui fut longtemps considéré comme le plus grand immeuble de Paris.
La « plus petite maison » de la capitale
Dans un de ses numéros de 1897, la revue La Nature s'excuse auprès de ses lecteurs de leur avoir donné une fausse information, le 7 novembre 1896, au sujet de « la plus petite maison de Paris ». De très nombreuses lettres étaient alors parvenues à la rédaction pour signaler que la plus petite habitation était située, sans aucune contestation possible, au n° 39 de la rue du Château-d'Eau.
En effet, il ne peut exister demeure plus exiguë puisque, construite entre deux immeubles de six étages : les nos 37 et 41 qui l'encadrent, elle présente des dimensions plus qu'insolites : une façade d'à peine 1 m 40 de largeur, une profondeur ne dépassant pas les 3 m et une hauteur atteignant tout juste les 5 m. Au rez-de-chaussée, on découvre une modeste boutique sans aucune communication avec l'étroite pièce de l'unique étage dont l'accès se faisait, au début du siècle, par l'appartement du premier étage de l'immeuble du n° 41.
Cette aberration architecturale aurait été le résultat d'une vilaine querelle de succession. Il existait là un passage entre les rues du Faubourg-Saint-Martin et du Château-d'Eau, or une mésentente entre les héritiers de ce minuscule terrain les auraient conduits à le condamner en élevant cette curieuse demeure.
Mais qui pouvait bien l'habiter ?
Selon l'auteur de l'article de La Nature de 1897 « l'étroite et modeste échoppe était occupée par un cordonnier du nom de Geoffroy qui y logeait et y travaillait depuis plus de quarante ans, en gagnant honorablement son existence malgré l'exiguïté de la pièce ». Ce témoignage prou-verait donc que la demeure avait été construite avant 1856 par un illustre inconnu et non édifiée en 1900, comme on le pensait, par l'architecte Georges Debrié (1856-1909) à qui l'on doit une œuvre bien plus prestigieuse en l'école municipale du n° 4 de la toute proche rue Pierre-Bullet.
Et par qui donc était occupée l'unique pièce de l'étage ?
Toujours, selon La Nature, par… un bébé ! « Ne dormant que dans un berceau, ses parents avaient jugé qu'ils lui donnaient là une chambre à coucher suffisante et qu'ils pouvaient aisément le surveiller par le n° 41 de la rue du Château-d'Eau ».
La
carte postale de 1906 montre que l'échoppe a changé de propriétaire, mais
que le commerce de la cordonnerie y est toujours pratiqué depuis 1856 : un
cordonnier du nom de J. Richard l'occupe à présent « en fabriquant et
réparant des chaussures en tout genre, sa pâte à chaussure entretient les
chaussures vite et bien, sans aucun acide » (l'écologie est déjà de
mise !). Des rideaux sombres obscurcissent la fenêtre du premier étage : un
bébé y dormirait-il encore ? De nombreux curieux viennent voir cette
insolite maison et notre cordonnier se fait, et plaisir et de la publicité,
en se faisant photographier avec eux !
La
photographie actuelle de la petite maison révèle qu'elle était jusqu'à peu
de temps toujours placée sous le signe du bébé ! Puisqu'à la place du
cordonnier, et après un bijoutier, s'était installé « Sylvain B.,
fabricant de vêtements baby et enfants en gros et demi-gros » et ce
malgré les dimensions plus que réduites du magasin ! Aujourd'hui, la
boutique est fermée, guère entretenue, livrée aux seuls regards des rares
touristes qui ont lu dans quelque guide du « Paris insolite » que se
nichait ici la plus petite construction de la capitale.
Quel sera son sort ? Je me suis laissée dire qu'elle pourrait peut-être devenir le « tout petit musée de la plus petite maison de Paris » !
Et la « plus grande maison » ?
Au n° 131 de la rue du Faubourg-du-Temple, là où se tenait au XVIIIe siècle le cabaret de la Courtille de Gilles Desnoyers, s'ouvre la curieuse « Cour de la Grâce-de-Dieu » d'une longueur de 133 m et d'une largeur minimum de 3,50 m. M. Meyer, propriétaire de cette voie privée et directeur du théâtre de la Gaîté la dénomma ainsi en 1870, en souvenir de l'énorme succès de la pièce dramatique de Dennery et de Gustave Lemoine « La Grâce de Dieu » jouée en son théâtre.
Ce vaste ensemble offre une belle homogénéité architecturale dans ses bâtiments bas et ses pavillons. En 1850, il était alors plus qu'insolite de regrouper en un seul et même lieu un aussi grand nombre de logements populaires (précurseurs de nos HLM) et de ce fait, il fut considéré comme « le plus grand immeuble de la capitale ».
Jeannine CHRISTOPHE