La Gazette du Canal n° 12 - Dossier

(mai - juin 1995)

Le journal de tout le 10e arrondissement de Paris

Les élections municipales

Introduction

La Gazette du Canal l'a souvent souligné, le 10e arrondissement va connaître dans les années futures de grands bouleversements. L'équipe qui sera élue les 11 et 18 juin prochain devra y faire face en préservant notre qualité de vie. Le dossier que nous vous proposons permettra à chacun d'entamer la réflexion et d'effectuer son choix. Nous avons donné la parole à tous les candidats, nous publions notamment les réponses qu'ils nous ont adressées au questionnaire publié dans notre précédent numéro. Ceci étant, nous ne nous sommes pas interdit de réagir pour défendre les thèmes qui nous tiennent à coeur : un urbanisme humain soucieux de préserver l'équilibre sociologique du 10e ; la défense du cadre de vie et l'arrêt de la politique du "tout automobile" ; et enfin, le développement de la démocratie locale. Quelque soit l'équipe élue, nous continuerons de vous infirmer et de vous proposer des actions concrètes pour mieux vivre dans le 10e.

En 1982, un débat fût lancé sur le fonctionnement de la démocratie dans les grandes villes, il aboutit au vote de la loi dite «PLM» (Paris, Lyon, Marseille). Pour mieux comprendre les enjeux des prochaines municipales, rappel et bilan d'une loi qui fixe les règles du jeu : institutions, mode d'élection des représentants, rapports entre les élus et les administrés.

A l'origine de la loi PLM, se trouve le constat suivant : le gigantisme des grandes agglomérations nuit à l'exercice de la démocratie. Pour apporter un remède à cette situation, deux principes devaient guider l'action du législateur : la décentralisation de la gestion communale au profit de structures plus accessibles, la démocratisation pour assurer aux citoyens une meilleure représentation. Pour atteindre l'objectif fixé, la réforme de l'organisation administrative et du régime électoral s'appuie sur trois mesures principales.

- La création d'un nouvel organe délibérant à côté du conseil municipal et du conseil régional (Paris est à la fois une commune et un département) : le conseil d'arrondissement. Elu au suffrage universel, il est composé de conseillers d'arrondissements et de conseillers municipaux élus dans l'arrondissement, le nombre des premiers est toutefois le double du nombre des seconds. Ainsi le conseil du 10e comprend six conseillers municipaux et douze conseillers d'arrondissement. L'assemblée locale est présidée par un maire élu en son sein parmi les membres du conseil municipal.

- Pour veiller à une représentation équitable des sensibilités politiques, une dose de proportionnelle est introduite dans le mode de scrutin. Celui-ci est à Paris le même que celui prévu dans les autres villes, pour moitié majoritaire et pour moitié proportionnel : la liste qui arrive en tête se voit attribuer la moitié des sièges à pourvoir, le reste est attribué à la proportionnelle.

- Pour associer les citoyens à la vie de la cité, création des comités d'initiative et de consultation d'arrondissements (CICA). Voir le numéro 11 de la Gazette.

Cependant, la réalisation du projet fut loin d'être à la mesure des ambitions affichées. Crainte de la part des politiques de tous bords de voir le pouvoir municipal s'affaiblir (Gaston Defferre, alors ministre de la décentralisation en charge du dossier, était aussi maire de Marseille) ? Ou souci de garantir aux communes une cohérence dans leur action ? En tout les cas, un ensemble de garde-fou vient limiter le pouvoir de décision et d'initiative des conseils d'arrondissement.

Ceux-ci ne peuvent inscrire à l'ordre du jour du Conseil de Paris des propositions de délibérations. Ils sont seulement autorisés à lui soumettre des questions concernant les affaires de l'arrondissement (mais le temps qui y est consacré est limité à deux heures par réunion). Ils n'ont pas de personnalité morale, c'est à dire qu'ils n'agissent qu'au nom de la commune. Enfin, dans le but de maintenir l'unité budgétaire municipale, ils ne peuvent ni lever l'impôt ni recruter des agents ; leur budget est constitué par une dotation annuelle déléguée par le Conseil de Paris.

Quelles sont alors les attributions des conseils d'arrondissement ?

- Un pouvoir d'avis et de proposition devant le conseil municipal pour toutes les questions concernant les habitants de l'arrondissement. En outre les conseils sont consultés par la commune avant toute délibération portant sur une modification du plan d'occupation des sols ou sur l'établissement des zones industrielles, d'habitation, de rénovation et de réhabilitation.

- Un pouvoir de décision. Dans le domaine de l'équipement d'abord : les conseils d'arrondissement gèrent et décident de l'implantation des crèches, jardins d'enfants, halte-garderie, terrains de sport et gymnases. Ils sont aussi responsables de la vie culturelle à travers la gestion des maisons de quartier et des maisons de jeune. Dans le domaine de l'action sociale ensuite : ils décident de l'attribution de certains logements, des conditions d'admissions dans les crèches, résidences pour personnes âgées et foyers-logements.

- Le maire : il est responsable de l'état civil, préside le comité de gestion de la caisse des écoles. Il prépare et exécute les délibérations du conseil d'arrondissement.

Quant au Conseil de Paris, il est responsable des grandes orientations de la politique de la cité et de son budget. Il est composé de 163 conseillers qui se réunissent onze fois par an, l'ordre du jour étant établi par le maire. Ce dernier désigne ses adjoints (47, dont les 20 maires d'arrondissement) à qui il accorde des délégations. Chaque adjoint a une compétence particulière (urbanisme, école, finances, etc.) ; le premier d'entre eux (Jean Tibéri) coordonne l'action municipale.

Malgré les corrections apportées par la loi PLM, le fonctionnement de la municipalité de Paris demeure marqué par un fort centralisme (M. Challal en fait lui même l'aveu)  : des projets élaborés au sommet par des groupes de spécialistes, des habitants et des associations qui ont trop souvent le sentiment d'être négligés dans la prise des décisions. Un long chemin reste à parcourir vers une réelle démocratie participative.

Emmanuel LOIRET



Rencontre avec M. Challal, maire du 10e arrondissement

LA GAZETTE. Nous sommes venus vous rencontrer en tant que maire élu et non pas en tant que candidat ! Il nous paraît important d'une part, que vous précisiez à nos lecteurs votre rôle et vos pouvoirs, et d'autre part de tirer un bilan de votre mandat. En suivant vos interventions aux conseils d'arrondissement, nous avons l'impression que les gens à Paris fantasment un peu sur la réalité de votre pouvoir de maire.

M. CHALLAL. Beaucoup de Parisiens sont originaires de province et s'imaginent que les attributions du maire d'arrondissement sont les mêmes qu'un maire d'une ville ordinaire. Il n'en est rien. Par exemple, je n'ai aucun pouvoir direct sur la police. C'est le Préfet de police qui a la responsabilité du commissariat du 10e. J'en suis réduit à intervenir auprès de lui par lettre. Le maire d'arrondissement a un pouvoir très limité : il est officier d'état civil, préside le conseil d'arrondissement et un certain nombre de comités locaux comme le comité de gestion de la caisse des écoles, le bureau de gestion des oeuvres sociales, etc. Présider ne veut pas forcément dire avoir l'entière autorité. Je ne nomme pas le personnel municipal qui dépend d'une administration centrale, etc. Les Parisiens eux, lorsqu'ils ont un problème, s'adressent au maire d'arrondissement comme s'il était un maire d'une commune de plein exercice.

- Et ils sont donc déçus ?

- J'essaye de donner un coup de main aux uns et aux autres en plaidant auprès des administrations. Je reconnais que cette situation est un peu ingrate. Le maire passe son temps à démêler tous les dossiers dans les administrations centrales de la ville ou de l'Etat.

- Concrètement, comment se préparent les décisions, c'est-à-dire les délibérations du conseil d'arrondissement.

- Ces projets de délibération ne sont pas toujours faciles à préparer, on perd beaucoup de temps avec l'administration pour la convaincre de descendre sur le terrain et de visualiser les problèmes. On ne voit pas de la même façon les choses quand on est "là haut". C'est alors à moi de convaincre de l'utilité de telle ou telle opération.

- Comment cela se passe entre le maire d'arrondissement et la mairie de Paris pour les opérations importantes concernant l'urbanisme ou la modification du Plan d'occupation des sols (POS) ?

- Les rapports sont excellents. Pour le POS, il y a deux directions qui y travaillent, la direction de l'aménagement urbain et l'APUR (Atelier parisien d'urbanisme). Lorsqu'il y a eu des propositions faites par ces deux administrations, le rôle du maire est de veiller à ce que cela corresponde à ses voeux sur le plan local. Si ces directions ne vous écoutent pas comme vous le souhaitez, il y a toujours une possibilité d'arbitrage au niveau du maire de Paris. A ce stade, en général, le maire de Paris arbitre toujours en faveur du maire d'arrondissement. Heureusement que cela se passe ainsi, car il y a toujours des difficultés techniques. Je ne suis pas un spécialiste, ni urbaniste, ni architecte, j'ai donc besoin d'avoir des renseignements que me fournissent les directions compétentes, mais j'ai aussi mon point de vue, construit à partir des lettres que je reçois, des gens que je rencontre. Mon rôle est de faire valoir toutes ces remarques auprès des administrations.

- Quel est le rôle des autres membres du conseil d'arrondissement ? On a l'impression que certains ont droit au chapitre et que d'autres n'y ont pas droit. Comment se préparent les conseils d'arrondissement au sein de l'équipe municipale ?

- L'équipe municipale est constituée du maire, de ses adjoints et des autres conseillers. Chaque adjoint a une délégation ; je lui laisse l'entière responsabilité de cette délégation. Quelques conseillers ont aussi une délégation. Ainsi un bon travail en commun est constitué. Quant à l'opposition, elle est là pour critiquer et pour poser des questions. Je crois lui avoir toujours répondu. J'ai en face de moi trois conseillers d'opposition qui connaissent bien l'arrondissement, j'ai toujours essayé de tenir compte de leurs arguments et de leurs suggestions. Effectivement quand vous assistez au conseil d'arrondissement vous pouvez avoir l'impression que cela «ronronne» ou que c'est une simple chambre d'enregistrement. Mais cela s'anime de temps en temps. Parfois, c'est la spécialité de M. Ottaway, on m'apporte des questions au dernier moment, le jour même du conseil. Dans ce cas il m'est parfois difficile d'apporter une réponse au cours de la séance.

- Il nous a semblé parfois, que vous découvrez un peu tard des projets de délibérations élaborés directement au niveau de la mairie de Paris.

- Cela arrive. Des projets de délibération nous arrivent à la dernière minute. En gros, je connais leur contenu car j'ai participé initialement à leur élaboration avec les administrations, mais il y a toujours des rajouts. Cela m'est donc arrivé d'en renvoyer parce qu'ils n'étaient pas conformes à ce que je désirais. Il serait effectivement souhaitable d'apporter des améliorations aux relations entre l'arrondissement et l'administration centrale de la ville.

- Il semble que beaucoup d'habitants, notamment les représentants d'associations, vous reprochent de ne pas jouer le jeu de la démocratie locale.

- On m'a reproché de ne pas avoir réuni assez souvent le CICA (Comité d'initiative et de concertation d'arrondissement), ou d'en choisir systématiquement les thèmes. Je crois que j'ai réuni pas mal de CICA depuis plusieurs années, j'ai choisi un certain nombre de thèmes qui me semblaient en adéquation avec les demandes de la population, et sur lesquels j'avais la possibilité d'apporter des réponses précises. J'ajoute que les ordres du jour sont soumis au vote du conseil d'arrondissement.

- Des reproches sont surtout formulés sur la forme de ces concertations : les associations souhaiteraient avoir accès plus facilement aux informations, par exemple avant les CICA.

- Oui, mais comment ? Les réunions de CICA sont faites pour que les associations, mais pas seulement elles, puissent faire entendre leur point de vue. Elles ne donnent pas lieu à l'élaboration d'un dossier préalable. Chacun (élus, administrations communale ou d'Etat, services publics, etc. et associations) s'exprime sur un sujet précis qui a été préalablement soumis au vote du conseil d'arrondissement. C'est la loi. Et j'avoue que même que si j'ai une idée sur ce que diront les uns et les autres je ne sais jamais en ouvrant les débats comment les arguments seront présentés. La discussion est vraiment ouverte.

- Ces dernières années, il semblerait que certaines concertations aient plutôt bien fonctionné, c'est le cas pour la réhabilitation du quartier Sainte-Marthe-Jean-Moinon ; en revanche, cela n'a pas été le cas pour le jardin Villemin et le Couvent des Récollets.

- Je suis un peu à l'origine du dossier Sainte-Marthe-Jean-Moinon, c'est sans doute la raison pour laquelle la concertation a bien marché. L'opération du jardin Villemin et du Couvent des Récollets est beaucoup plus compliquée, en tant que maire de l'arrondissement je n'en ai pas la maîtrise : il faut tenir compte de l'histoire du lieu, certains terrains appartenaient à l'Assistance publique, le Couvent lui dépend du ministère de l'Equipement. C'est un casse-tête. Je suis tout de même monté au créneau lorsqu'il a été question d'installer au Couvent des Récollets des logements sociaux qui n'auraient été en fait que des habitations pour les cadres du ministère de l'Equipement. Je crois que le Couvent pourrait être réhabilité pour créer un lieu à vocation européenne. Mais je ne ferme pas la discussion, je suis preneur de toutes les idées.

- Autre exemple, passage du Prado, les riverains confrontés aux problèmes de drogue se sont plaints de ne pas être suffisamment entendus à la mairie du 10e.

- Attention : en ce qui concerne les habitants du passage du Prado il s'agissait essentiellement d'un problème de sécurité relevant du Préfet de police. Pour autant je crois avoir été largement à leurs côtés.

- Non pas seulement, ils demandaient aussi que leur cadre de vie soit réhabilité, ils ont eu une vision plus générale des problèmes du quartier de la Porte Saint-Denis.

- Disons qu'au départ, j'ai été saisi pour un problème de sécurité. Le Préfet de police a répondu à leurs lettres et à leurs manifestations. Il y a eu une amélioration lorsque les forces de police sont intervenues plus massivement. Par la suite, ils ont effectivement changé d'orientation et demandé une réhabilitation du secteur de la porte Saint-Denis. Actuellement, je négocie avec le ministère de la Culture : la porte n'appartient pas à la ville. Nous avons réussi à avoir une subvention du ministère, la Ville a dégagé des crédits pour en aménager le pourtour. J'ai rencontré les représentants du passage du Prado, je leur ai expliqué la situation. Dernièrement, ils m'ont écrit pour suggérer des propositions auxquelles ni les services techniques, ni moi-même n'avions pensé. Je les ai retenues. Au début la concertation avec eux a été difficile, mais lorsqu'il s'est agi de l'amélioration de l'environnement, qui est davantage de ma compétence, nos relations se sont améliorées.

- Vous avez eu également des difficultés passage Brady.

- Le problème y est différent. Nous ne parvenions pas à réunir les gens. Nous avons acheté un immeuble, ce qui nous a permis d'entrer dans le conseil syndical du passage. La Ville de Paris a demandé la création d'un syndic d'office pour que l'on puisse travailler. Les démarches sont lentes et les gens s'impatientent, je le comprends. Nous sommes dans une grande ville, dans un pays assez bureaucratique.

- Toujours sur ce problème essentiel de la démocratie locale, comment avez-vous perçu l'arrivée de La Gazette du Canal ?

- Je trouve votre journal intéressant et bien fait. Vous donnez de nombreuses informations et en tant que maire, je ne peux que me réjouir de voir des habitants s'intéresser à l'arrondissement et animer la vie locale. Cependant j'ai un reproche à vous faire : vous collez trop d'affiches n'importe où, nous sommes tous attachés à l'environnement, vous devriez chercher un moyen de « faire plus propre ».

- Vous comprendrez que si nous voulons vendre, nous devons nous faire connaître, et il n'y a plus aucun endroit directement accessible pour l'affichage associatif. Votre mandat s'achève, avez-vous des satisfactions et des regrets ?

- J'ai beaucoup de satisfactions, mais aussi beaucoup de regrets parce que six ans c'est trop court !

- Une dernière question plus précise. Nous sommes inquiets en ce qui concerne les abords du canal Saint-Martin, non loin de l'Hôtel-du-Nord, au coin de la rue Bichat. L'immeuble "Préault" semble avoir été racheté par un promoteur, va-t-il être détruit ?

- A cette date aucune demande n'a été formulée. Détruire ou ne pas détruire, tout dépend de l'état de l'immeuble et pour quoi y faire. Rassurez-vous, je serai très vigilant. Je suis l'un des maires de Paris les moins apprécié par les promoteurs et les banquiers.

Propos recueillis par
Martine HERROU, Hervé LATAPIE et Jean MARANDON.



Une opposition municipale à trois têtes

Nous avons rencontré les 3 conseillers d'arrondissement d'opposition du 10e : Tony Dreyfus (depuis 1989) et Michel Ottaway (de 1983 à 1989 et depuis 1993) pour le Parti Socialiste, Alain Lhostis pour le Parti Communiste (depuis 1983), tous têtes de liste pour les prochaines élections municipales. Nous leur avions tout d'abord proposé une table ronde pour discuter ensemble de leur rôle d'opposants, mais chaque parti a préféré répondre séparément à nos questions. Synthèse de leurs réponses.

Quelles sont vos réactions à l'interview de M. Challal ?

Chacun concède que les pouvoirs du maire d'arrondissement sont limités mais qu'un maire a les moyens de dépasser l'application stricto-sensu du règlement et peut être porteur d'un véritable projet politique en s'appuyant sur la population. Pour Alain Lhostis, notre maire n'a pas de vision globale, pas de projet municipal concernant l'évolution de l'arrondissement, en se réfugiant derrière le poids de l'administration centrale, il refuse d'affirmer ses pouvoirs politiques. Tony Dreyfus tient à préciser que, représentant d'un parti qui a eu lui-même la responsabilité de gouverner la France, il ne s'agit pour lui ni de faire des propositions irréalistes, ni de pratiquer une opposition systématique à la politique menée dans le 10e. Il considère que M. Challal manque de «pulsion politique» et pourrait, notamment à travers la convocation régulière de CICA, écouter la population afin de poser des problèmes concrets et prendre du poids par rapport à l'Hôtel de ville : « le maire d'arrondissement ne doit pas se contenter d'être le petit télégraphiste du maire de Paris », précise-t-il.

Les questions et les suggestions des membres de l'opposition sont-elles prises en compte ?

Il leur est toujours possible de poser des questions, et aucun ne doute de la bonne foi de M. Challal en ce domaine. Mais ils s'étonnent que le maire ne semble pas toujours disposer des informations requises et semble découvrir souvent les dossiers très tard. Les élus d'opposition se plaigne de ne recevoir les dossiers qu'à peine 3 jours avant la tenue du conseil d'arrondissement, il leur est difficile de les étudier en si peu de temps.
Michel Ottaway applique à M. Challal cette citation de Cocteau : "Ces événements nous échappent, faisons semblant d'en être les instigateurs".
D'après Alain Lhostis, les questions de l'opposition sont bien inscrites à l'ordre du jour et ses interventions ne sont ni empêchées, ni limitées. En revanche, l'équipe de la majorité lui paraît peu motivée et se distingue par son absentéisme, il pense même que ses élus ne sont pas mieux informés que l'opposition. Quant aux suggestions, chacun propose la tenue de conseils préparatoires unissant majorité et opposition qui seraient lieu d'échange, d'information et de débats, et permettraient d'inciter des études prospectives sur les projets concernant le 10e.

Les conseillers d'arrondissement ont-ils les moyens matériels de remplir leur rôle ?

Michel Ottaway avait demandé en 1983 l'attribution d'une permanence à la mairie. Cette demande n'a toujours pas été considérée. Il regrette également qu'aucune documentation concernant les dossiers du 10e ne soit tenue à jour. Mêmes problèmes pour Alain Lhostis qui souligne qu'heureusement il peut compter sur les militants de la cellule locale du PC.

Le PC et le PS vont faire liste commune aux prochaines élections municipales. Quelles sont les relations entre les deux formations ?

Il n'y a aucun travail en commun, bien que les deux partis adoptent souvent la même démarche. Chacun a à coeur de respecter la spécificité de son électorat. Ils reconnaissent néanmoins que sur certains thèmes précis, un échange entre les deux partis aurait pu être positif.

De quoi sont-ils les plus fiers et quel est leur plus grand regret pour le mandat écoulé ?

Chacun estime que le travail avec la population et les associations a été très important.
Michel Ottaway est particulièrement satisfait d'avoir récemment amené M. Challal à convoquer des CICA sur des sujets qui n'avaient pas été abordés jusque là.
Alain Lhostis est heureux d'avoir pu jouer un rôle de déclencheur d'alertes et de propositions, notamment dans la concertation organisée pour la défense du quartier Sainte-Marthe-Saint-Louis.
Tony Dreyfus regrette que le désenclavement du 10e n'ait pas été réussi, en particulier l'évolution de l'habitat, la situation précaire des ateliers et des commerces traditionnels de l'arrondissement.

Habitent-ils le 10e ?

Michel Ottaway habite le 10e depuis 1952, Tony Dreyfus n'y habite pas. Alain Lhostis y travaille depuis 1964, et y a élu domicile en 1980.

Propos recueillis par Jean DANG-NHU, Alain JOUFFROY, Frédérique LECOEUR.

Nous avons bien compris le souci des élus d'opposition de défendre leurs spécificités, mais bien qu'ils aient été interviewés séparément, nous constatons que les deux partis rencontrent les mêmes problèmes et ont une vision proche du rôle de l'opposition et de l'importance du développement de la participation des citoyens dans la vie locale. Nous avons cependant été surpris de constater l'absence de travail en commun des deux formations. D'autant plus, que les militants des deux partis, eux, se sont souvent retrouvés côte à côte, notamment pour lutter contre l'urbanisme sauvage. La résistance au rouleau compresseur de la majorité municipale ne serait-elle pas plus efficace, si nos élus d'opposition travaillaient davantage ensemble ? Car par delà les différences idéologiques, c'est la défense des intérêts locaux qui est leur principal souci. Souhaitons que la décision de présenter une liste commune dès le premier tour des élections municipales s'accompagne ensuite d'une meilleure coordination de leurs interventions en conseil d'arrondissement. Il ne fait aucun doute que si tel est le cas, leur action n'en sera que plus crédible et plus efficace.



La Gazette face au Front national

Par un hasard, qui aurait pu passer pour une provocation, nous avons donné rendez-vous à Françoise Monestier, tête de liste du Front national dans le 10e, dans un café tenu et fréquenté par des maghrébins. C'est donc sur fond de musique raï distillé par le juxe-box, que s'est déroulée cette conversation. Elle a duré une heure et quart. Extraits d'un échange de propos sur l'immigration.

La Gazette. Vous devez vous douter que notre rencontre n'allait pas de soi, car si notre journal est indépendant, il défend des valeurs et des méthodes d'approche des problèmes souvent très opposées de vos thèses. Nous souhaitions savoir comment votre parti fonctionne sur le 10e et discuter en particulier de votre manière de poser le problème de l'immigration.

Françoise Monestier. Je trouve votre journal sympathique. Je ne partage pas toujours vos opinions, mais je ne vois pas pourquoi vous auriez refusé de me rencontrer. On peut ne pas être d'accord, et tout de même dialoguer. Vous essayez de créer des liens pour redonner une âme à Paris. C'est bien, car dans cette jungle les gens se sentent souvent seuls et isolés, en particulier les personnes âgées. Au Front National, nous sommes surtout des amis, nous entretenons des liens de camaraderie et d'amitié. Nous nous retrouvons souvent, pour des réunions de travail ou simplement des rencontres amicales. Sur le 10e, nous sommes une bonne trentaine de militants actifs. Nous collons des affiches régulièrement et nous sommes présents chaque week-end sur un marché (Saint-Quentin ou Saint-Martin). Cela nous permet de rencontrer régulièrement nos nombreux sympathisants.

- Nous avons reçu dernièrement une lettre de militants du Front National qui nous disent : « nous remarquons votre tendance à favoriser la publicité envers les magasins, restaurants, commerces étrangers installés dans notre quartier. Bravo ! Nous refusons à l'avenir de cautionner un journal dont la dérive nous navre et nous exaspère. » La présence de ces communautés d'origine étrangère dans le 10e vous dérange-t-elle à ce point ?

- Nous ne sommes pas contre leur présence, mais nous sommes contre l'immigration massive de populations venues de fort loin et souvent de pays qui n'ont jamais été dans la sphère d'influence de la France. Oui, ces communautés apportent une certaine perturbation, dans la mesure ou certaines d'entre elles n'acceptent pas de respecter les règles de notre pays. Je pense notamment aux rixes qui se multiplient dans notre quartier entre les Turcs et les Kurdes ou encore entre les tamoulo-pakistanais. Trouvez-vous normal qu'ils règlent leur problèmes ainsi chez nous ? Devons-nous accepter les ateliers clandestins dans tout l'arrondissement ?

- Ces problèmes existent, tous les habitants le savent. Mais que prônez-vous pour les régler ? Une répression systématique, un contrôle policier permanent ? Vous croyez que cela marcherait ?

- Nous prônons ce qui n'a jamais été fait, un véritable contrôle de l'immigration. Nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde, c'est Rocard qui l'a dit. A partir du moment où il y a un trop plein, vous avez le risque de voir de braves gens excédés.

- Tous les gens qui vivent au quotidien les nuisances liées au trafic de drogue se rendent compte que le problème est extrêmement complexe. Vous brandissez le bouc émissaire étranger, comme si vous n'aviez rien d'autre à dire. Est-ce que vous pensez vraiment apporter ainsi des réponses pratiques valables ? Croyez-vous qu'il est opérationnel de répondre à des gens excédés par les drogués dans les halls, les seringues ou les agressions : « il suffit de renvoyer à la frontière les étrangers ».

- Oui, nous pensons, que le problème serait sinon résolu, du moins qu'il y aurait un progrès, un changement dans le bon sens. Trouvez-vous normal qu'il y ait dans le haut du Faubourg-Saint-Denis une telle concentration de population Sri-lankaise ? Cela va forcément exploser.

- Mais pourquoi cela exploserait-il ? L'équilibre du 10e n'est-il pas au contraire dans cette diversité ? Regardez Belleville, il y a un trottoir juif, un trottoir arabe et le troisième asiatique. Belleville n'a jamais explosé.

- A Belleville les asiatiques prennent le dessus, c'est la seule communauté qui est calme.

- Ne pensez-vous pas que la crise du logement et la montée du chômage sont davantage à l'origine des problèmes des gens que l'immigration ? Etes-vous, par exemple, favorable aux réquisitions d'immeubles pour loger les S.D.F. ?

- La politique immobilière de Chirac est une catastrophe, elle est purement spéculative. De plus en plus de gens âgés sont chassés. Tout d'un coup un promoteur débarque, soutenu par M. Challal et M. Chirac, les gens sont expulsés en banlieue, c'est scandaleux. Alors aujourd'hui M. CHIRAC peut s'amuser à parler des réquisitions. Il pourrait commencer par déloger tous ses petits copains à qui il a attribué des H.L.M. et appliquer la préférence nationale pour attribuer les logements. Les réquisitions, c'est un gadget électoral.

- Vos solutions ne nous semblent pas répondre aux besoins des habitants. Prenons un exemple. Rue de l'Echiquier, il y a deux ou trois ans, existait un réel problème avec les Turcs, leurs commerces engendraient des dégradations, de la saleté dans la rue et parfois du bruit. Des riverains gênés se sont dit que cela ne pouvait plus durer ainsi. Ils ont fait la tournée des commerçants, leur ont expliqué le problème. La situation s'est améliorée. Ne croyez vous pas que cette méthode, le dialogue et l'explication, est beaucoup plus efficace que la dénonciation et l'incitation à la haine ?

- Dans mon immeuble (dans le 9e), nous avons eu cette démarche. Un des escaliers, occupé en majorité par des personnes d'origine maghrébine, posait problème. J'ai favorisé l'élection d'un représentant de ces familles au conseil syndical et les problèmes ont été résolus. Vous voyez que je suis ouverte au dialogue. Mais il n'est pas toujours possible. Il a peut-être été facile rue de l'Echiquier où vous avez affaire à des commerçants qui ont pignon sur rue, mais comment faire avec des communautés très éloignées de nous, je pense à des Pakistanais, des Indiens ou des Africains. On sent bien avec eux qu'il y a une espèce de mur difficile à franchir.

- Oui, c'est difficile, encore une fois nous ne voulons pas nier les problèmes, mais nous pensons que notre méthode, le dialogue, l'intégration progressive, notamment par le biais de l'école, a toujours marché en France.

- Vous faites allusions aux Italiens, aux Polonais, aux Portugais. Ils étaient beaucoup plus proche que nous culturellement. Observez certains groupes africains, croyez-vous vraiment qu'ils souhaitent, ou qu'ils peuvent un jour s'intégrer ?

- Il faut du temps. Venez assister aux kermesses des écoles en fin d'année. Vous verrez l'intégration en oeuvre, des gamins de toutes les couleurs se côtoient sans que cela pose aucun problème, les mamans africaines sont aux côtés des autres mamans, les gâteaux qu'elles ont préparés ont beaucoup de succès auprès du public.

- Vous êtes vraiment très optimistes et confiants. Il est clair que nous sommes beaucoup plus pessimistes et inquiets, c'est d'ailleurs une des caractéristiques de la pensée nationale.

- Avez-vous des relations au niveau local avec le RPR et la majorité municipale ?

- Non, aucune, il m'arrive sur les marchés de rencontrer des militants communistes, on se serre la main et on discute. Ils sont plus abordables que les gens du RPR ! Quant à la mairie, c'est bien simple, que ce soit au niveau de l'arrondissement ou de Paris, nous n'avons aucune relation. Le maire nous ignore.

Propos recueillis par Lila FLISSI,
Hervé LATAPIE et Emmanuel LOIRET.

Agir contre la haine et l'exclusion dans le 10e
Appel à tous les citoyens de bonne volonté excédés par le FN

Le débat au sein du comité de rédaction de La Gazette a été vif. Fallait-il, oui ou non, rencontrer la représentante du parti d'extrême-droite, fallait-il lui ouvrir nos colonnes et sembler ainsi lui apporter une caution ou une reconnaissance ? Nous avons décidé de le faire. Il faut écouter le Front National, il faut avoir le courage d'entendre ses propos. Ils sont édifiants, et le pire est qu'ils n'apportent aucune solution réaliste, aucune perspective.
Pour le FN, tout va mal, tout le monde est pourri, c'est la catastrophe totale. Tout est inquiétant : l'immigration, la mairie, les rues, les jeunes, les commerces. Et la solution de tout cela ? Archi simple, pour les amis de M. Le Pen, il suffit de renvoyer les immigrés, d'adopter la fameuse préférence nationale, de remplir les prisons, etc.
Faire peur, tel est le mot d'ordre du Front National : pousser les gens à se haïr, à se méfier. Nous ne voulons pas de ce monde triste, nous ne voulons pas de cette absence d'humanité, de ce pessimisme profond qui rend les êtres aigris et tristes. Le 10e ce n'est ni Harlem, ni Chicago. Il y fait bon vivre. Les problèmes existent, il ne faut pas se le cacher, mais ce n'est certainement pas la guerre civile, que compte organiser le Front National, qui les résoudra.
Au contraire, nous devons agir sur le terrain, en restant proches des gens, et en leur tendant la main. Discuter et rendre la vie plus agréable pour tous, voilà la vraie voie à suivre. Ayons de l'imagination et montrons aux électeurs du Front National qu'ils se trompent. Rencontrons-nous pour en discuter. Imaginons ensemble de vraies réponses aux problèmes posés par la crise sociale, concrètes et humaines.