La Gazette du Canal n° 11 - Dossier

(mars - avril 1995)

Le journal de tout le 10e arrondissement de Paris

Y'a de la vie dans le 10e

Introduction

Bientôt le printemps ! Pour le fêter en beauté nous vous offrons ce dossier, à lire en compagnie des chanteurs qui ont vanté les charmes de nos quartiers (Trenet, Montand, Mistinguett…). Nous ne ferions pas La Gazette, si nous ne pensions pas qu'il y a de la vie et de la joie des deux côtés des rives du canal. Bonnes adresses, chroniques de vie, passions en tous genres, voici un menu léger et gai, une trêve heureuse en ces temps de campagnes électorales.



Autonomiste du 10e arrondissement

Je peux reprendre à mon compte la chanson de Renaud à propos du 14e, et siffloter fièrement le long du canal que « je suis un autonomiste du 10e arrondissement ». Y'a tellement de vie dans ce coin de Paris, que je n'ai même plus l'idée d'aller voir ailleurs ce qui s'y passe.

Mes amis me traitent d'obsédé du 10e, ils me soupçonnent de ne jamais mettre les pieds en dehors de l'arrondissement, hormis lors de mes obligations professionnelles. Je les laisse se moquer et n'en fait qu'à ma tête. J'avoue, je me contente avec délectation de profiter au maximum de la vie… dans le 10e ! Et quand j'entends les grincheux snobs me dire que dans le quartier "y'a rien", je me mets en colère. Tous les jours, je découvre une nouvelle raison de rester sur place, et je peste de ne pas avoir assez de temps pour arpenter toujours et encore les trottoirs de l'arrondissement.

Du ressort dans le mélange

Prenez déjà les quatre coins du 10e, et vous faites le tour du monde. A Belleville, vous avez un mélange détonnant, à Barbès une ambiance décoiffante, et au faubourg Poissonnière, un genre plus cossu et chic. Un détour dans chaque gare vous permet de rêver des grandes étendues nordiques, une balade boulevard de Strasbourg vous transporte en cinq minutes de Dakar ou Brazzaville à Bombay passage du Brady. On vous épargnera la liste de toutes les cuisines du monde que vous pourrez goûter sans jamais franchir la limite de notre circonscription électorale, n'en déplaise aux partisans de M. Le Pen, il y a du ressort dans le mélange que les palais gourmands savent apprécier.

De la variété pour se distraire

Se distraire est un plaisir. Par les grands boulevards, en quelques enjambées vous accédez aux grandes salles de cinéma, grand Rex ou Max Linder. A moins que vous ne préfériez passer la soirée dans un des théâtres situé sur notre territoire : La Renaissance, La Porte Saint-Martin, le Gymnase, Bouffes du Nord, La Mainate, le Palais des Glaces, le Tambour Royal. En franchissant la frontière du boulevard Saint-Martin, vous passez dans le 3e arrondissement, vous y trouvez la Comédie-Française des chansonniers, le Caveau de la République. C'est là que tous les montreurs de guignols de l'info font leur apprentissage. Pour le jazz, vous disposez du New Morning, rue des petites-écuries, et pour le musette, vous irez directement à La Java au Faubourg-du-Temple, les amateurs de Rock, eux, s'engouffreront dans la même rue au Gibus. Votre municipalité favorite et bien aimée, finance, contrôle et anime les centres d'animation (Espace Jemmapes, Château-Landon, Jean- Verdier, Grange-aux-Belles), les bibliothèques municipales, le conservatoire de musique, les ateliers d'arts de l'ADAC, l'office municipal des sports. Il y en a pour tous les goûts. Et depuis septembre, on se muscle au Gymnase Club, place de la République.

De la vie au coin des rues

Mais la vraie vie est ailleurs, non inscrite dans les guides et encore moins dans l'Officiel des spectacles, elle se balade dans les coins de rues ou les jardins publics, dans les cours d'immeubles, les rues isolées et les passages. Là où cela grouille, ça se raconte, ça s'aime, se bichonne, s'enthousiasme ou pleure. Chacun pourrait citer son coin de vie bien à lui : la cour de l'ancien hôpital Saint-Louis où il fait bon lire au calme, le morceau de gazon du jardin Villemin où les rayons de soleil réchauffent si bien les corps privés de vraies vacances au soleil, le terrain de boules où l'on se retrouve tous les jours, et surtout, ces bistrots de quartier où s'échangent sourires, confidences et indiscrétions. Arrêtons la le tableau, vous finiriez par me traiter de sale Parigo chauvin du 10e !

Hervé LATAPIE



Verlaine et Rimbaud

Mes collègues me traitent souvent de rêveur et me reprochent parfois de "voyager" trop souvent dans d'autres mondes parallèles. Alors, je ne sais pas comment leur conter ma dernière rencontre gare de l'Est sans qu'ils me croient atteint de folie.

Aux alentours des gares une population nombreuse transite vers des destinations inconnues, on croise parfois des personnages pour le moins insolites. En décembre, un politicien, condamné candidat éternel à la présidence, est venu accueillir saint-Nicolas pour essayer de s'exorciser de ce maléfice ! Mais, cet après midi du 13 février 1995, frôle les limites du supportable pour un cerveau humain normalement constitué. Au bout de cette rue d'Alsace où tout peut arriver, l'habituel macadam souillé d'huile par les automobiles a disparu pour laisser sa place à du sable humide recouvert de quelques pavés. Aucune propagande d'un quelconque service public n'annonce qu'il travaille pour améliorer notre confort, de quoi s'agit-il ? Soudain, une calèche à cheval s'arrête et un mystérieux personnage en descend, il est habillé avec les vêtements de son arrière-grand-père trouvés sans doute dans une malle, ou alors, il se fournit chez Paco Rabane, le couturier réincarné.

Que vient-il faire ici ? Accueillir un voyageur arrivant en train, élémentaire. Voilà qui change de la ronde habituelle des voitures à pétrole conduites par des fiancées venues accompagner leur Jules militaire qui doit rejoindre sa garnison chez les Prussiens, pardon, je mélange les époques, je voulais dire en Allemagne.

Son ami arrive dans le même accoutrement étrange. Ils se saluent et grimpent dans un taxi, non dans la voiture à cheval. Ce brave dada a laissé sur la chaussée quelques kilos de crottin, de quoi rendre fort jaloux les caniches du quartier et leurs ridicules petites crottes. Intrigué par ce manège, j'interroge un personnage qui semble lui aussi pris de la même hallucination que moi. Fort sympathiquement il me répond : "Mais, vous n'avez pas reconnu Verlaine et son ami Rimbaud arrivant de Charleville- Mézières, nous sommes aux environs de l'année 1870". Excusez-moi, monsieur, je n'ai pas l'habitude de croiser des vedettes tout les jours et encore moins des fantômes.

Hélas, le ronflement d'une locomotive diesel me réveille pour me ramener brusquement en 1995. Une équipe de tournage filme une scène d'un long métrage américain qui s'intitulera « Totale éclipse ». Pour les fondus de toile, je vous livre les noms des acteurs avant la bande annonce : Léonardo di Capricio dans le rôle de Rimbaud, David Thelis dans celui de Verlaine avec la participation de Romane Boringer et Dominique Blanc.

Gérald MASNADA

P.S. : les habitants du 25 rue d'Alsace remercient A.Rimbaud d'avoir fait disparaître les tags de 1995 inexistants en 1870.



Bonnes adresses, les coups de coeur de la rédaction.

ANNIE

Mercerie : Librairie-papeterie- mercerie, 1, rue des-Deux-Gares, mercerie à l'ancienne avec des étagères en bois qui débordent de marchandises, jouets, vieux bouquins en solde, vieilles cartes postales.

Bistrot : Le Château d'Eau, 67, rue du Château-d'Eau, très beau café de caractère années 20, tapissé d'azulejos

MARIE-HÉLÈNE

Linge sale : Lav'club, 41, rue des Vinaigriers, surtout pour la très sympathique Mme Irène qui s'occupe de votre linge et vous fait la conversation !

Gourmandise : Le furet tanrade, 63, rue de Chabrol, une des plus vieilles confiseries de Paris, qui propose entre autres plus de 40 variétés de confiture, gouttez pêches de vigne ou mirabelles, c'est l'été en pot.

Non-fumeurs : Aux deux canards, 8, rue du Faubourg-Poissonnière, cuisine française traditionnelle ; Holiday Inn, 10, place de la République, 45 chambres réservées aux non-fumeurs et surtout un endroit cosy pour prendre le thé sans les fumées.

Afrique : Paris-Dakar, 95, rue du Faubourg-Saint-Martin, resto avec animations de 21 h à 22 h 30, joueurs de Kora ou vidéos de musique africaine.

Bijoux : Michel Legwinski, 65, rue de Lancry, accueil très chaleureux et bijoux originaux d'inspirations diverses.

ODILE

Farfouille : Cyrilène, 135, rue du Faubourg Saint-Denis, si vous voulez de la qualité pour pas trop cher, venez fouiner dans cette petite boutique. Hélène vous y accueille chaleu-reusement, du lundi après-midi au vendredi soir. Et vous pouvez lui laisser la jupe dans laquelle vous ne rentrez plus depuis longtemps.

Turquie : Markar, rue Saint-Maur, traiteur qui propose tous produits d'épicerie orientale, grand choix d'olives, fêta, feuilles de vigne, un délice.

Coiffure : Canal Hair, 16, avenue Richerand, un petit salon fluo rétro sans clinquant, ne croyez pas que le grand cactus à l'entrée en reflète l'atmosphère, c'est tranquille, sympa.

Look : Emilio Balaton, 20 et 23, rue Juliette-Dodu, chaussures de luxe italiennes, cher mais bonne qualité.

Vêtements de femmes : Halle Bys', 35, rue de la Grange-aux-Belles ; Les Fadas, 33, rue du Faubourg-du-Temple, chouettes vêtements.

JEAN-BAPTISTE

Boulangerie : La bonne fournée, 151, quai de Valmy, change de mains. Alice nous quitte. Mais la qualité du bon pain reste. Notre nouveau boulanger nous propose quelques nouveautés : la baguette au levain naturel, la flûte à l'ancienne, la miche de pain aux raisins, le fagot (pain de seigle de froments et différentes graines). Plus toute une série de spécialités pour les enfants. L'espace d'un instant j'ai oublié que je n'était plus tout à fait un grand pour goûter les muffins, les cookies et les brownies. Je ne peux que vous conseiller d'en faire autant.

FRÉDÉRIQUE

Petit matin : prenez votre journal quotidien chez Thierry Presse, 76, rue du Château-d'Eau et lisez-le en buvant un petit noir au café tabac le Major, 83, rue du Faubourg-Saint-Denis, le sourire et la gentillesse de ces commerçants est un remède sans faille au traumatisme répété engendré par l'abandon de votre couette douillette.

Livres anciens : Librairie Dudragne, 86, rue de Maubeuge, ne vous fiez pas au fouillis régnant dans cet endroit, Patrick Dudragne est un expert en gravures et livres anciens. Dans ses cartons à dessin, vous pourrez sûrement dénicher la gravure ancienne de votre quartier. L'univers de Patrick part de la rue de Maubeuge, passe par les salles des ventes et finit sur l'océan car c'est un grand amateur de voile !

JEAN

(Lequel ? Grognognon ou Grocoquin ? note du claviste)

Fromages : Le fromager du faubourg, 22, rue du Faubourg-Saint-Denis, affine lui même ses fromages dans ses caves, interrogez les patrons, ils sont intarissables sur leur métier.

Bijoux : Calcao, rue du rue du Faubourg-Saint-Denis, des bijoux originaux dans une ambiance orientale.

HERVÉ

Pour oublier que vous êtes à Paris : le midi, allez déjeuner "Au Perroquet" rue de Lancry (face à la rue Legouvé), Mme Simon vous sert une cuisine familiale (menu à 50 F boisson comprise !) dans une petite salle à manger. Ambiance de quartier, idéale pour y prendre des habitudes. Jean Grognognon y a les siennes, c'est un sacré connaisseur. Le soir, vous trouverez au Coin de Verre, rue de Sambre-et-Meuse, un genre refuge de haute montagne. Préférez les jours calmes (début de semaine), Hugues est plus disponible ; mais il vaut mieux ne pas trop vanter son bistrot à vins, dès qu'il y a un peu trop de monde, il en profite pour fermer et fiche le camp à la campagne, la vraie.

Bistrot : « Au rendez-vous des boulistes », chez Tino, au coin de la rue de la Grange-aux-Belles et de la rue Juliette-Dodu. C'est un bonheur, pour y prendre son café et y lire les journaux, disponibles sur le comptoir.

Une maison de quartier : Librairie La Passerelle, 56, rue de Lancry. C'est bien plus qu'une librairie. Non seulement vous pouvez passer commande de tous vos livres, recevoir les conseils de Sylvie, mais c'est en plus, le plus grand repère de gens sympas du quartier. Marc y laisse des messages pour Sandrine, Jean reprend le dossier déposé par Roger, Paul y raconte sa vie à qui veut bien l'entendre, Olivier taquine la rue entière, les mômes du collège débarquent en bande pour rafler les contes de Pennac et Pétillon y réalise des dessins inédits. Sylvie, on t'adore.

MARTINE

Restaurant à prix défiant toute concurrence : Le Berrichon, rue Bichat (presque en face de l'entrée de l'hôpital Saint-Louis). Prix du menu : 42 F, (entrée, plat, dessert), plat du jour à 30 F. La cuisine est de type familial, simple et bonne, les plats sont copieux. Vous êtes servi par Solange, toujours souriante ; son mari, Bernard est en cuisine. La salle est spacieuse, bien aérée, le décor a un petit côté rustique agréable. Vous pouvez débarquer en groupe sans vous faire remballer, et le service est rapide. Depuis quelques temps, en soirée, il y a pas mal d'habitués du quartier, ils se bisent en entrant et se mêlent de temps en temps de la conversation des tables voisines. Mais la salle est assez grande pour se caler dans un coin et jouer le jeu de l'intimité.



Allez guincher à LA JAVA

LA JAVA, une enclave qui chantonne encore à la manière des gens qui savent faire la fête, une piste de danse où l'on s'invite, le temps d'une valse ou d'un tango.

Monique et Pierrot y sont tous les vendredis soirs, depuis 30 ans, et n'essayez pas d'inviter Monique pour danser un tango, elle vous répliquera avec son accent des faubourgs : "ah non, le tango, c'est rien qu'avec mon mari !" Pour se rendre à La Java, il est bon d'humer d'abord l'air de Belleville ou encore, d'aller prendre un verre dans un bistrot de la rue Saint-Maur, histoire de se mettre en condition. Puis, vous franchissez le porche de cet immeuble fantôme, construit au début des années 20 (voir encadré ci-contre), qui a gardé, malgré l'abandon dont il est victime, une belle allure. Tout au fond de la galerie, la porte ne paie pas de mine, mais en vous approchant, vous percevez les airs d'accordéon. LA JAVA est un des derniers temples du musette de la capitale, pas une de ces boîtes qui cherche à exploiter le filon d'une pseudo-mode, mais un vrai dancing populaire, resté fidèle aux plaisirs de la danse à deux.

La salle est toute en longueur, elle baigne dans une lumière rouge et vous offre une piste de danse en plancher de bois entourée de banquettes et de tables où l'on peut confortablement s'installer pour profiter du spectacle. Et quel spectacle ! Cela tourne, tourne, les couples en redemandent, enchaînent valses, paso-dobles, tangos, javas. Le samedi, vous avez droit, luxe rare à Paris, à un orchestre sur scène avec son fier joueur de piano à bretelles.

Le public n'est pas né d'aujourd'hui, les robes à fleurs arborent des volants qui se soulèvent quand la musique fait tourner les corps, les messieurs portent souvent la cravate, et attendent que la soirée s'avance pour laisser tomber la veste. Mais il y a aussi des jeunes en jeans qui semblent bien à l'aise. Entre deux morceaux, les visages sourient, heureux de la danse achevée ou d'un pas de virtuose tenté pour épater la partenaire. Puis, un petit slow langoureux permettra de souffler et de se rapprocher de l'être aimé. Les dames rejoignent leur table (gare à vous si vous vous y êtes installés en leur absence !), elles saisissent leur petite trousse de toilette et se redessinent les contours des lèvres. Quelques hommes esseulés tournicotent discrètement pour repérer une cavalière libre.

C'est vrai qu'il vaut mieux aimer l'accordéon pour apprécier LA JAVA, mais le plaisir se trouve avant tout dans la contemplation de ces couples qui valsent à tout va. Alors, on se dit que le lieu est superbe, qu'il est un îlot de vie unique, encore populaire et pas fier. On a peur que cela ne dure qu'une nuit, que le dancing ferme ou se recycle, parce que les jeunes boudent le musette qu'ils jugent ringard. Pourtant, sans des lieux comme LA JAVA, la vie serait bien triste. Alors gens du 10e, profitez-en, allez-y guincher de temps en temps, histoire que Paris reste toujours Paris.

Hervé LATAPIE

La JAVA est ouverte le jeudi (soirée salsa avec orchestre), vendredi et samedi à partir de 23 h, thé dansant dimanche et lundi après-midi.

Le Palais du Commerce

Ce nom somptueux qui s'étale sur le fronton curviligne recouvre une réalité aujourd'hui bien dégradée. La petite galerie marchande, à deux étages reliés par des passerelles autour d'un couloir central éclairé par une verrière, fut construite en 1923-1924 par Ferdinand BAUGUIL pour son propriétaire, un certain CHEMNITZ. Utilisant des matériaux modernes, béton et verre-dalle, elle était originale par sa répartition sur trois niveaux d'une cinquantaine d'ateliers et de magasins, dans une rue déjà très commerçante. Tout cela a beaucoup vieilli et semble à présent à demi-déserté.

Maryse GOLDEMBERG
Conservateur à la BHVP.

Dictionnaire des Monuments de Paris (p. 563) éd. HERVAS 1992



Comment va la vie rue du Faubourg-Saint-Denis ?

Jean Mangenot est parti enquêter entre la rue du Château-d'Eau et le boulevard de Magenta. Bonheurs, inquiétudes et espoirs lui ont été racontés par des voisins et des commerçants.

Y'a de la vie, quelle vie ? Dans cette rue polyculturelle, comment vous entendez-vous avec les habitants d'autres nationalités ?

M. A., commerçant maghrébin et M. B., installés depuis longtemps dans le faubourg : "je m'entends bien avec tous". Carlos Londono Wolff, architecte, président de l'association "Mieux vivre dans le 10e : "l'arrondissement est composé par un ensemble de nationalités diverses qui vivent en groupes homogènes et fermés, sans participer à l'évolution de celui-ci. La première urgence est de redonner une âme à cet arrondissement multiracial où l'intégration et le civisme ont besoin d'être portés à un niveau tel que les habitants soient fiers d'en former partie intégrante et se préoccupent de leur environnement proche". M. Yves Buisson, agent de développement social : "Il est important de laisser aux communautés la possibilité de se retrouver".

La construction ou la rénovation de quelques immeubles a-t-elle ou aura-t-elle un effet bénéfique ?

Carlos Londono Wolff et Mme Abitbol, pharmacienne, l'espèrent. Yves Buisson porte un jugement plus réservé. Y aura-t-il preneur pour ces immeubles neufs, souvent proches d'autres qui sont dans un triste état ? Les solutions qu'il préconise sont les suivantes : au lieu de chasser les habitants dont les revenus sont médiocres et qui souvent ne peuvent payer les charges inhérentes à des logements et immeubles très dégradés, il faudrait permettre un développement social grâce à des opérations programmées de l' OPAH De telles opérations sont envisageables pour le bas du Faubourg-Saint-Denis, si l' Etat, la municipalité les associations et les habitants ont le courage de les entreprendre. Elles auraient par ricochet une influence sur la portée du faubourg. Yves Buisson, comme Carlos Londono Wolff, pensent aussi que les habitants ont souvent le tort de tout attendre de la municipalité et de la police. Très souvent des locaux d'habitation sont transformés par des étrangers mais aussi des Français, en espaces de restauration, en entrepôts, en ateliers de manière illégale. Selon M. Wolff, tout propriétaire peut s'opposer aux illégalités et, au lieu de ne pas bouger, peut-être par peur, il pourrait s'adresser au Service de Contrôle de la Construction pour la Transformation des Locaux dirigé par M. Bailly à l'Hôtel de Ville de Paris.

Arrivez-vous à vivre correctement sur le plan professionnel et personnel ?

Yves Buisson vit avec sa femme et ses enfants au fond d'une cour : "Cette rue et ce quartier multiculturel et multisocial sont naturellement générateurs de tensions mais ce n'est pas nécessairement mauvais, dit-il. Les rencontres peuvent apporter des changements. Plusieurs fois, dans cette cour, des machines à coudre industrielles très bruyantes ont troublé le calme des habitants pendant les soirées et le dimanche. Il y a eu affrontement puis des solutions ont été trouvées".

C'est la drogue et tout son cortège d'agressions, vols, recel qui semble causer le plus grand malaise dans le secteur. Tous les jours Mme Abitbol reçoit la visite, dit-elle, d'une vingtaine de drogués. Avec quelques-uns elle a des échanges intéressants, mais elle a aussi été menacée à plusieurs reprises. Un médecin du faubourg-Saint-Denis pense que les solutions à ce problème crucial seraient assez faciles à trouver. Il condamne la répression à l'égard des drogués : "Si on interdisait le tabac du jour au lendemain, le marché noir du tabac s'installerait immédiatement. Ce qu'il faut c'est traiter les toxicomanes au moyen de produits de substitution. Dans certains centres, on propose de la méthadone ou des dérivés de morphine, ce qui permet aux toxicomanes de sortir de l'enfer. Et au quartier de retrouver la tranquillité".

Comment évoluera la rue du Faubourg-Saint-Denis dans les années à venir ?

Redeviendra t-elle la jolie rue-marché attractive qu'elle a été, comme l'est maintenant la rue Cadet dans le 9e ou la rue de Bucy près de Saint-Germain- des-Prés ? Yves Buisson s'interroge sur les conséquences du départ du marché de gros de la confection qui libérera des milliers de mètres carrés. Il souhaite que ce départ soit très progressif. Beaucoup de personnes inter-Denis malgré ses défauts : "Les enfants n'ont pas assez d'espaces verts mais il est bon pour eux de découvrir très jeunes des milieux sociaux différents". De nombreux artistes, des intellectuels ont choisi d'habiter ici, préférant cette vie à la morosité des rues du 16e ou du 17e.

Jean MANGENOT