La Gazette du Canal n° 29 - Dossier

(automne 2001)

Le journal de tout le 10e arrondissement de Paris

Les bobos de la vie

L'accumulation des textes législatifs et réglementaires dans le domaine de l'action sociale et plus spécifiquement de la lutte contre la précarité, le partage des responsabilités entre l'état, la ville de Paris, les organismes de sécurité sociale et les associations ont rendu l'accès aux services et dispositifs d'aide totalement opaque pour les usagers et difficilement gérable par les acteurs.
Une coordination entre tous ces acteurs (réseau précarité) devrait permettre une meilleure connaissance par chacun d'entre eux des dispositifs existant et des personnes en ayant la responsabilité. Elle doit, par là-même, permettre d'orienter rapidement le" client " vers la personne la plus apte à répondre à sa demande. Enfin, un tel dispositif de coordination doit s'accompagner d'une formation des intervenants au dialogue avec les personnes en situation de précarité et d'une évaluation de l'efficacité du dispositif.
Un groupe de travail initié au début de l'année 2001 et auquel ont participé des habitants de l'arrondissement, des représentants d'associations agissant dans le champ de la lutte contre l'exclusion et le centre d'action sociale prépare une réunion CICA pour la mi-novembre. Elle se tiendra un mois après la journée mondiale de refus de la misère (17 octobre 2001) instaurée par les Nations unies et doit être l'occasion de faire le point sur la situation des personnes en état de grande pauvreté dans l'arrondissement, sur les réponses actuellement apportées, sur les manques et sur quelques orientations qu'il serait possible de développer de façon immédiate.
Il sera proposé, dans le 10e arrondissement, la création d'un poste spécifique dès 2002 afin de mettre en place et d'animer ce réseau d'entraide en articulation étroite avec le centre d'action sociale.

Hubert Isnard



La consultation Verlaine
de l'hôpital Saint-Louis, cinq ans après *Voir l'article sur la consultation Verlaine paru dans La Gazette n° 15, printemps 1996.

Nous nous sommes intéressés de savoir où en était aujourd'hui la consultation Verlaine

Grâce aux informations qui nous ont aimablement été fournies par le Dr Claire Georges en charge de cette consultation, nous pouvons faire ici le point :
- La fréquentation est restée stable depuis 1996, elle est d'environ 130 patients par mois, avec une prédominance masculine, et pour plus de la moitié d'origine étrangère, se répartissant en majorité entre l'Afrique noire, le Maghreb, le Pakistan et l'Inde. Ce sont des personnes qui ne peuvent profiter de la CMU (Couverture maladie universelle), parce qu'en situation irrégulière.
Les autres personnes ayant droit à la CMU et à sa complémentaire (salaire inférieur environ à 3 600 F pour une personne et 4 500 F pour un couple) ont permis de désencombrer la consultation Verlaine.
- Viennent aussi à cette consultation les" sans domicile fixe "qui, grâce à la prise en charge Verlaine, peuvent ensuite réintégrer une filiale normale : obtenir des droits et un domicile. Car, en plus de l'assistance médicale, un des objectifs de la consultation Verlaine est d'assurer une gestion sociale du patient. Ils sont assistés dans cette démarche par l'association " Entraide et Partage ", qui oriente les consultants et les aide à réintégrer un circuit classique.
- Se développe actuellement un réseau Ville-Hôpital (SAVH) qui met en relation les malades de la consultation avec des médecins de ville et des pharmaciens qui ont accepté de suivre ces personnes afin de les sortir du milieu hospitalier. Il faut savoir qu'il y a peu d'hospitalisations après un examen en consultation Verlaine : sur une période de 8 mois et 900 patients vus, 11 seulement ont dû être hospitalisés, ce qui réduit fortement le coût de prise en charge que représente l'hospitalisation ; un suivi régulier du malade, d'abord à l'hôpital puis en ville, est souvent suffisant, les plus atteints s'adressant directement aux urgences pour une éventuelle hospitalisation, ce qui a pour effet de moins encombrer la consultation Verlaine.
- Les pathologies examinées sont variées, avec une forte prédominance pour les maladies infectieuses et en particulier la tuberculose qui, une fois détectée, peut être suivie par un médecin de ville consentant et en relation avec l'hôpital.
- Les médecins consultants de Verlaine parlent souvent les langues étrangères que pratiquent les patients : arabe, turc, yougoslave… l'anglais étant bien souvent la planche de salut pour dialoguer avec certains, en particulier ceux venant du sous-continent indien. De même le réseau SAVH essaye de recruter des médecins de ville ayant une connaissance de certaines langues étrangères.
- Enfin, a été mis en place à la consultation un logiciel qui permet de cerner le profil du patient, d'établir sa prise en charge, de déterminer son type de pathologie, de le suivre du début de sa maladie à son rétablissement, enfin de savoir d'où viennent les consultants et surtout ce qu'ils deviennent.

Jeannine Christophe

Avec tous ses remerciements au Professeur Dominique Farge

Hôpital Lariboisière

La consultation " Arc en ciel " fonctionne suivant un schéma identique à celui de la consultation Verlaine.
Le malade a libre accès à toutes les consultations de l'hôpital et au service social de chaque consultation. Il peut avoir un entretien avec une assistante sociale qui lui remet un bordereau de circulation " Arc en ciel " avant ou après la consultation médicale. Le malade est examiné par un médecin, et des examens complémentaires sont effectués en cas de besoin. Si une ordonnance de médicaments lui a été remise par le médecin, il est accompagné à la pharmacie de l'hôpital.
L'Association " Le Secours Populaire " assure, le lundi et le jeudi matin, des permanences à l'hôpital Lariboisière pour les personnes sans domicile et nécessitant une domiciliation en vue d'une demande de Couverture maladie universelle (CMU), d'Aide médicale d'état (AME) ou d'Aide médicale d'état rénovée (AMER).



Précarité : vue de la mairie

La Gazette a rencontré deux élus de l'arrondissement concernés par la grande précarité : Alain-Pierre Peyraud (PS), délégué à la santé, à la lutte contre l'exclusion, aux personnes âgées ; Sylvie Scherer (divers gauche), déléguée à la politique de la ville et aux relations avec les résidents étrangers.

Nouvelle précarité

Alain-Pierre Peyraud : "Il y avait un personnage traditionnel et hautement symbolique du clochard à Paris qu'on voyait sur les bouches de métro. Ces personnages pratiquement allégoriques étaient intégrés dans le paysage parisien.
" Le problème est qu'on est actuellement en train de s'habituer à d'autres visages de la pauvreté : des gens, des mères avec des enfants, des jeunes de 15 ans dont on voit bien qu'ils sont en rupture de socialisation, qu'ils ne mangent pas à leur faim, qu'ils s'alcoolisent beaucoup trop…
" Leur immobilisme ne prête pas spontanément à aller les remuer pour voir s'ils ne sont pas déjà mort ; on regarde tout ça avec une certaine distance. "

Donner du sens et réidentifier

" Avant de redonner du sens pour les plus précaires, donc les plus éloignés du système, il s'agit de redonner du sens à des gens comme nous.
" Il faut arriver à considérer que les lieux d'accueil, par exemple le 9 rue Beaurepaire, sont des lieux importants, qu'ils ne devraient pas poser question à des gens qui vivent Paris de façon adaptée. Si on ne met pas en place des structures qui permettent à ces personnes de vivre mieux, c'est Paris tout entier qui s'enfonce, c'est-à-dire nous-mêmes. Ce n'est pas en les faisant sortir de Paris qu'on améliorera notre cadre de vie, c'est en les intégrant de façon adaptée.
" Les grands précaires se ressemblent à force de dépouillement. Pour eux, voir que tu gènes est une violence terrible de la société ; leur réinsuffler leur nom, leur prénom, leur histoire permet de les réidentifier. Ils se construisent à travers le regard de l'autre.
" Un interlocuteur référent clairement identifié doit leur ouvrir directement les voies de la santé, du logement, de la justice, de l'aide sociale. C'est un peu le principe du guichet unique. "

Projets

" L'actualité immédiate, c'est le 75, rue de Maubeuge (cf. article p. 4) qui est un maillon clé du nord de l'arrondissement.
" L'ensemble des intervenants dans le domaine de la précarité est un vrai réseau, mais les gens ne se connaissent pas forcément, ce qui entame l'efficacité du réseau. C'est pourquoi la mairie souhaite créer un observatoire local de la précarité afin de fédérer l'ensemble des associations et organiser des rencontres régulières pour apprécier de façon objective et sereine l'impact de la précarité (accès aux soins, au logement, nutrition, …), définir, évaluer et valider le dispositif et les actions menées dans l'arrondissement.

" Le plus gros des précaires passe sur le quota des urgences, c'est anormal. Les deux consultations gratuites (Verlaine à Saint-Louis et Arc en ciel à Lariboisière, cf. p. 7) doivent être renforcées et pour cela disposer de moyens supplémentaires. Il faut aussi adapter l'hôpital aux besoins d'une population marginalisée, ce qui ne saurait nuire à la qualité technique du plateau de l'APHP (Assistance publique _ Hôpitaux de Paris), accepter aussi les enfants et mettre en place, au-delà de l'accueil médical, une politique sociale permettant de ménager une transition entre l'hospitalisation et l'extérieur.

" Les lits d'hospitalisation psychiatrique doivent être intra-muros, afin de faciliter pour les malades mentaux, qui sont aussi de grands exclus de la société, la réintégration du domicile avec un suivi de proximité des soins qui évitera des rechutes et permettra de résorber l'excès d'hospitalisation en psychiatrie. Ceci est déjà vrai dans le 19e, et le sera pour le 10e à l'horizon 2003.

" C'est un vaste chantier pour l'élu récent que je suis et une préoccupation constante qui m'animait déjà en tant que citoyen habitant Paris."

Propos recueillis par
Alain Jouffroy

Pratique

La Ville de Paris édite un fascicule" Solidarité " qui donne des adresses pour s'orienter, se loger, se nourrir, se soigner, vivre au quotidien, se réinsérer.

Chaque fiche donne les adresses précises, les horaires, les prestations, la population concernée, le tarif éventuel, etc.
Dernière édition à ce jour :
Hiver 2000/2001
Disponible dans les mairies d'arrondissement, à l'accueil.
Tél. SAMU social : 115


dessin de Sylvain Gautier



Réfugiés politiques ou économiques

Sylvie Scherer met l'accent sur les problèmes rencontrés par les réfugiés politiques et économiques lors de leur arrivée sur le territoire français.
Les demandeurs d'asile politique, souvent des familles, sont autorisés à rester sur le territoire national. Les délais d'instruction de leurs dossiers sont longs : deux ans en moyenne (un an pour les autres demandeurs) et ne leur sont délivrés que des récépissés provisoires de 90 jours.
Ils ne peuvent vivre de façon précaire que des aides exceptionnelles délivrées par les services sociaux ou les associations et ont pour seule solution la recherche de travail au noir et le logement en foyers d'urgence ou hôtels sociaux. En effet, ces titres de 90 jours ne permettent ni de travailler légalement, ni d'accéder aux droits sociaux (santé, sauf AME (Aide médicale d'état), …) ; ces deux droits n'étant ouverts qu'à partir du 91e jour.
Les Chinois qui eux, sont souvent pris dans un réseau auquel ils doivent payer le solde de leur passage (seule une partie de celui-ci étant payée d'avance) restent ici en travaillant pour le réseau qui les héberge. Sous-payés, sans quittance de loyer ni feuille de salaire, ils ne peuvent tenter de s'en sortir qu'après avoir remboursé les 80 à 120 000 F de leur passage. Acheter de fausses feuilles de paye ou quittances de loyer, pratique courante pour entrer dans un semblant de légalité, ne leur suffit pas à prouver une activité profes-sionnelle sur un an, ni un domicile.
Dans tous les cas, cette précarisation est accentuée par tant de difficultés rencontrées qu'ils n'attendaient pas et auxquelles ils ne savent faire face : l'angoisse du lendemain, de l'évolution de leur situation, du refus de leur régularisation.
Cependant, certains s'en sortent, souvent aidés par des associations.
Pour tenter d'améliorer ces situations difficilement tolérables, Sylvie Scherer demande :
- que les récépissés de trois mois ouvrent la possibilité de travailler et d'accéder aux droits sociaux ;
- qu'un effort soit fait pour traiter tous les dossiers dans un délai raisonnable.
Elle poursuit aussi son action pour aider à la résolution d'un certain nombre de situations, résolutions dans lesquelles elle s'implique personnellement.

Alain Jouffroy



Précaire, vous avez dit ?

Logement précaire. Du 59 (Lancry), au 5/7 (Jacques-Louvel-Tessier), au 45 (Louis-Blanc), puis 46 (Fg-Poissonnière), s'égrène un compte sans fin. Voici encore une suite.


Le 46, rue de Paradis.
Photo : JM Berthier

Au 46 rue de Paradis, l'immeuble a été réquisitionné par les pouvoirs publics, dans le cadre de la loi Périssol, pour y loger temporairement des gens à la rue. Ce contrat social devait prendre fin en 2000. On estime maintenant l'issue… fin 2002. On cherche toujours un bailleur social repreneur.
Les bâtiments sont habités par 35 familles, pour moitié monoparentales et à 70 % d'origine africaine, dont certaines attendent d'être relogées depuis six ans. Des riverains se plaignent que c'est le QG de la délinquance du quartier. En réalité, parmi les 120 enfants, cinq ou six ados seulement posent problème. Une mission d'accompagnement social a été confiée par les pouvoirs publics à l'association " La Fayette Accueil " (190, rue La Fayette) pour le compte de qui une animatrice et un emploi-jeune gèrent la crise, ou tentent d'y faire écran. Le bâti se dégrade. Il y a des problèmes d'humidité. Certains appartements ne sont plus chauffés. Trois sont squattés par des occupants qui, contrairement aux autres, ne paient pas de loyer.
Le " 46 Paradis " devrait être pérennisé en logement social de type HLM, mais les contacts entre l'OPAC et le propriétaire, filiale d'une compagnie d'assurances, trop gourmand, n'ont pas abouti. La moitié des familles devrait rester sur le site rénové . Où iront les autres ?

Un deux trois squat cinq/sept

Soit un propriétaire n'entretient pas son bien, soit la copropriété bloque les travaux, soit un spéculateur vide les locaux et les laisse se dégrader. Les mauvais exemples ne manquent pas dans le 10e. On les repère mieux quand tout un immeuble est gangrené, mais cela peut concerner quelques appartements seulement dans un immeuble correct. Les locataires qui restent dans du logement insalubre n'ont, d'une part, pas les moyens d'aller chercher mieux et, d'autre part, ne savent pas se battre pour tenter de faire améliorer leurs conditions de vie.
Le squatteur, lui, est un battant. Il envahit un immeuble déserté ou au bord du désastre. Soit par choix, ne pas payer un loyer, ne pas entrer dans le système, soit par manque de moyens, pas de revenus suffisants pour signer un bail, louer un atelier d'artiste. Le squatteur revendique un droit à la marge et révèle les discriminations sociales.
Des artistes animaient le 10e avant d'être virés de la Grange-aux-Belles. Les familles sans moyens ou sans-papiers du 5-7 rue Jacques-Louvel-Tessier ont secoué notre capacité d'indignation et notre sens de la solidarité.

Le squat est une jungle

On y retrouve des rapports de force économiques, les jeux de et avec le pouvoir, magouilles et trafics. Les premiers à ouvrir le lieu font payer un droit d'entrée aux suivants. On y entre par cooptation et on achète sa place. Tout s'y paie, tout s'y monnaie : les branchements électriques qui ne sont évidemment pas tous assurés par EDF, parfois même l'accès aux points d'eau courante, jusqu'au droit de réception de la télévision. Les occupants sont souvent rançonnés.
Piégé dans ce système, le squatteur a peu de moyens de défense contre les caïds. Il n'a pas son mot à dire sur les critères de sélection des nouveaux arrivants. Le partant peut, à son tour, revendre son ticket d'entrée. Même s'il en sort, il n'est donc pas bavard : peu de témoignages négatifs viennent de l'intérieur pour recadrer une réalité sordide qui en ternirait l'image enluminée. Il ne se crée pas toujours, comme ce fut le cas au 5/7, une association de soutien à l'extérieur de l'immeuble, là où on peut agir, en particulier pour s'opposer à de nouvelles entrées.
Lieu de non-droit au départ ou de facto, le squat est un point de fixation de la délinquance. Les autorités s'arrangent avec cet élément repérable et plus facile à surveiller d'un équilibre cynique entre crime et normalité. Le plus souvent, le trafic pouvait préexister au squat mais là, le voyou se fond dans le camaïeu des lieux où il est difficile d'établir qui y vit ou non, et facile de planquer à l'insu de tous une livraison que l'acquéreur viendra plus tard récupérer dans une cache discrète. Plus le climat de violence est manifeste, moins les témoins involontaires sont à craindre.
Il n'y a pas de conclusion aux histoires sans fin.

Michel Motu



Au confort moderne

Les règles d'attribution des logements sociaux suivent parfois une logique ubuesque.

Afin de lutter contre la surdensité et l'insalubrité des logements, une grille de critères précise la surface et le nombre de pièces à affecter suivant la situation familiale (nombre de personnes, d'enfants en bas âge, etc.). Si l'on comprend la logique d'une telle grille pour éviter d'entasser des gens dans des situations intolérables, son application stricte donne parfois des résultats qui seraient risibles s'il n'entraînaient pas des situations aussi dramatiques.

Deux exemples

Deux exemples récents le montrent encore une fois avec acuité. Le premier cas, où le sadisme le dispute à l'imbécillité, est celui d'une femme vivant avec ses six enfants. La petite dernière est gravement malade et son état nécessite un équipement médicalisé. Toute la famille est actuellement entassée dans un studio. Récemment, les services sociaux lui proposent enfin un appartement : visite, la femme le trouve parfait et est soulagée de voir s'alléger enfin son cauchemar. Mais peu de temps après, patatras ! On lui notifie qu'au vu de son dossier, il n'est pas possible de lui attribuer ce logement, car il est trop petit pour sa famille, et que cela n'est pas dans les règles.
La seconde histoire est tristement classique : une famille de 13 personnes habite dans un petit deux pièces depuis 14 ans. Leur propriétaire leur a notifié congé au printemps dernier. Ils demandent depuis vingt ans un logement plus grand, mais comme le raconte le frère aîné : " Nous ce qu'on demande c'est que la collectivité nous donne un appartement vivable, on est dans un F2, et un petit F4 nous ferait déjà un bonheur immense. Mais à cela ils nous disent que ce n'est pas la norme, car "pour une famille telle que la nôtre, il faut au minimum un F6, or sur Paris cela devient très rare". Et bien alors comme nous ne pouvons pas avoir de F6, on va nous laisser dans ce taudis, car c'est à cela que cela ressemble maintenant. Tomber malades et qu'un de mes petits frères ou soeurs meure pour que la collectivité réagisse, c'est tout simplement honteux à notre époque. "
D'un côté, un parc considérable de logements vacants et de l'autre, des règles aberrantes de confort moderne où on préfère quasiment laisser quelqu'un à la rue plutôt que de voir trois enfants dormir dans une même chambre. C'est à croire qu'on souhaite voir perdurer le problème du logement et alimenter les caisses de marchands de sommeil qui, eux, répondent sans scrupules à l'urgence. Et on peut voir comment.
Témoignage : " Une pension de famille du Faubourg-Poissonnière héberge à des prix prohibitifs pour deux ou trois jours les laissés-pour-compte que les services sociaux lui envoient. Durant l'été une famille africaine, après deux jours dans 10 m² à 1 000 F par jour, douches non comprises, a fait six aller-retours en métro pour transporter son barda dans le 13e où elle était assurée d'être hébergée les 6 jours suivants ! Et après ? "

Jean-Michel Berthier


" Que vous soyez à l'étroit dans votre studio, je le comprends,
mais un 4 pièces ce n'est pas possible, ce sera trop petit ! "
(dessin de Sylvain Gautier)



Chômeurs et précaires de Paris

Aujourd'hui, le travail reste un facteur déterminant de cohésion sociale et pour chacun une perspective d'insertion.
Née à la suite des mouvements sociaux de l'automne 1995, l'association" Chômeurs et précaires de Paris "(CPP) vient en aide aux chômeurs et précaires. Elle les accueille dans ses locaux au 17, rue de Lancry, devenus trop exigus pour recevoir le nombre croissant de gens vivant une situation de précarité.

Nous avons tous une définition différente de la précarité : pour certains elle dépend de la santé, pour d'autres du logement ou du travail, ou de la détresse psychologique; mais pour tous, la précarité est un tremplin vers l'exclusion.
Au CPP, on a pris le problème à bras le corps ; on met tout en oeuvre pour venir en aide aux personnes qui vivent une détresse au quotidien. Un café, un mot gentil, un peu d'attention sans compassion et le dialogue s'instaure. On tente de répondre aux problèmes de chacun. Le CPP accompagne les demandeurs d'emplois et précaires dans leurs différentes démarches auprès des administrations, les oriente vers les services compétents (logement, aide alimentaire, formation…), aide à la rédaction des lettres de candidature et des CV et propose un conseil juridique sur rendez-vous. Depuis 1998, le CPP participe au comité de liaison de l'ANPE ; à noter aussi que, depuis l'arrivée de Bertrand Delanoë et de son équipe à la mairie de Paris, un dialogue s'est instauré avec celle-ci et que le CPP s'est vu offrir un siège d'administrateur au Centre d'action sociale de la Ville de Paris, ainsi qu'une promesse de locaux plus spacieux qui permettront un meilleur accueil du public.
Mais pour le CPP, la lutte contre la précarité ne s'arrête pas là ; de nombreux efforts doivent être faits, surtout en ce qui concerne le logement synonyme de sécurité ; la prise en compte par l'État de l'adresse des personnes vivant en foyer, ce qui leur permettrait d'être reconnus citoyens à part entière notamment au moment des élections ; le versement des prestations sociales en début de mois et non le 10 (une carte orange s'achète en début de mois) ; un guichet administratif unique qui permettrait une simplification des démarches pour le public, une vue globale de la situation du demandeur pour l'agent administratif et par là même, peut-être, l'instauration d'une relation de confiance entre interlocuteurs.
Le CPP regrette que la majorité des travailleurs sociaux interviennent de moins en moins sur le terrain où ils pourraient réaliser des actions préventives et se trouvent relayés pour ce faire par les bénévoles des associations qui ne peuvent agir directement.
Dans un futur très proche, les projets du CPP sont : l'ouverture d'une cafétéria associative, espace de rencontre et de dialogue ouvert à tous ; un bureau mobile d'information pour aller à la rencontre des gens n'osant pas se déplacer et des sessions d'initiation à l'informatique et à l'Internet.
La lutte contre le chômage et la précarité demande un effort sur la durée, alors tous autant que nous sommes, luttons pour que ces situations difficiles à vivre cessent : si vous avez du temps, du travail, un logement, des compétences à offrir, vous pouvez contacter le CPP.

Jean-François Pierre

CPP
17, rue de Lancry
75010 Paris
Tél. : 01 48 03 30 14
Courriel : cppasso@free.fr


Dessin de Sylvain Gautier



CAMRES

Le Centre d'accueil médical et de réinsertion économique et sociale a été créé en 1992, pour répondre à l'accueil d'urgence. Il occupe un local trop exigu de 70 m2 au 11, passage Dubail.

L'écroulement des tours du World Trade Center a des répercussions jusque dans la précarité parisienne. Sans doute le plan Vigipirate durcit-il encore des conditions de vie déjà tendues, et certaines positions politiques sont-elles exacerbées. Toujours est-il qu'au CAMRES, en septembre, on a constaté une agression et une bagarre, ce qui n'était quasiment jamais arrivé.
Le CAMRES, c'est d'abord un foyer d'accueil de jour, où on peut se poser, boire un thé ou un café, discuter, être écouté, sans être jugé. On voit moins de demandeurs d'asile, mais plus de familles, d'adolescents ; et de plus en plus de femmes SDF avec enfant, ce qui ne se voyait jamais avant. Cette évolution de la population précaire a entraîné un besoin de professionnalisation du dispositif, car l'accueil d'urgence s'adresse à une population difficile qui demande une réponse pointue.
Aujourd'hui, cinq postes permanents sont créés pour répondre au besoin de l'association d'aller vers une prise en charge orientée, s'occupant de redonner des droits minimaux aux personnes, droits qu'elles ne connaissent souvent pas, et d'assurer la mise en liaison avec les services compétents. Des permanences juridiques sont également assurées. Mais l'exiguïté des locaux pose problème. Il faut jongler avec l'espace pour pouvoir recevoir dans un minimum de confidentialité.
Le CAMRES s'occupe de faire l'interface avec les réseaux d'entraide, qui fonctionnent souvent de manière très spécialisée. Il faut disposer des outils techniques nécessaires pour être capable de suivre les dossiers et d'ouvrir les portes. Certains précaires voient leur situation empirée par le simple fait qu'ils ne rentrent dans aucun cadre standard et que cette image les suit dans le circuit. La directrice cite le cas de cet homme d'origine africaine, ayant travaillé dans l'aide sociale, extrêmement cultivé, féru de psychologie, qui, suite à un concours de circonstances, se retrouve en grande précarité à Paris et se voit refuser systématiquement l'entrée de tous les lieux d'hébergement de nuit. Renseignement pris, cet homme ne cadrait tout simplement pas dans la population SDF que ces centres sont habitués à gérer et son discours faisait peur aux responsables qui se disaient qu'il risquait d'être un fauteur de troubles.
L'association regrette un certain manque de communication entre les circuits d'entraide dont les victimes sont malheureusement les précaires. Quelle perte de temps et de confiance que de diriger une personne vers un service, de la voir revenir furieuse et, en appelant pour comprendre le problème, d'apprendre que la mission du service a changé, mais qu'on ne le savait pas.
Des bénévoles aident à l'accueil collectif et assurent la permanence du dimanche. L'association cherche toujours d'autres personnes bénévoles disponibles un après-midi par semaine pour aider à l'accueil, et aussi pour aider à développer des activités en soirée : ateliers créativité (théâtre, arts graphiques, etc.) ou de formation (informatique, etc.).

Jean-Michel Berthier

CAMRES
11, passage Dubail
75010 Paris
Tél. : 01 40 38 22 90
Directrice : Valérie Hentz


Photo : JM Berthier



SDF

Depuis combien de temps sont-ils là ? Certains prétendent avec rancoeur " depuis trop longtemps ", d'autres répondent avec compassion " depuis un bout de temps ". Pas très précis, mais il me semble qu'ils étaient moins nombreux il y a vingt ans quand je me suis installé ici, à quelques pas d'où naquit le citoyen Schoelcher.

Peu le savent, mais dans un quartier qui abrite aujourd'hui une quantité d'agences de travail précaire à petit salaire, l'épouse d'un riche fabricant de céramiques mit au monde en 1804 un petit Victor qui, plus tard, en 1848, abolit l'esclavage. Aucun monument ne nous le rappelle, si ce n'est une plaque apposée sur la façade de l'immeuble où il est né au n° 132 de la rue du Fb-St-Denis. Pauvre monsieur Schoelcher, le 10e ne t'est pas beaucoup reconnaissant.

Les misérables, version "moderne"

À la même époque, un autre Victor (qui comptait parmi les amis de Schoelcher) gravait dans un célèbre roman la misère des hommes. Chers Victors, de là-haut ne regardez pas, vous pourriez être déçus, l'esclavage et la misère ne sont pas éradiqués. Ils se cachent sous des appellations plus politiquement correctes, adaptées au siècle de la mondialisation. Nul besoin de chercher beaucoup pour les trouver, ces misérables. Dans ma zone délimitée par les deux gares qui, à elles seules abritent plus d'une centaine de ces malheureux, je revois toujours les mêmes têtes depuis des lustres. Les années passent, les gouvernements changent, les pauvres restent. Petit à petit on les oublie ; il suffit qu'ils disparaissent quelques mois pour ne plus les reconnaître, le temps ravage les visages. Deux ans dans la rue, c'est un seuil, une limite, le bout de la planche qui précipite dans le vide. Au-delà de cette période peu réussissent à se relever.

Un sujet qui dérange

Comment aborder ce sujet ? D'un côté, les associations qui réclament toujours plus de moyens et d'aides et de l'autre, les riverains vivant au quotidien le problème et qui se plaignent et ne savent plus quoi faire.
Aux abords du marché de St-Quentin, la cohabitation ne se passe pas si bien. Au début je n'ai pas apprécié la réaction hostile des commerçants, mais le hasard me fait maintenant passer par la rue de Chabrol à l'aurore pour rejoindre la station Poissonnière. Croyez mes narines, cela sent beaucoup plus mauvais que le poisson avarié, ce qui ne facilite pas le travail des gens du marché. Alors, parfois n'y tenant plus, ils craquent et appellent les forces de l'ordre. Mais dois-je croire ce qu'ils me racontent : pour éviter de se retrouver assis à l'arrière d'une voiture de police, ils mouillent leurs pantalons, vous n'avez pas bien compris, ils pissent dans leur falzard, c'est mieux expliqué comme çà !

Une figure du quartier m'explique sa détresse, 10 ans sur le trottoir lui ont ôté toute dignité. Pourtant plusieurs personnes lui ont tendu la main, il n'a pas voulu la prendre, c'est son histoire.

Que faire

Mais alors que faire ? La précarité est-elle responsable de cette misère ou bien faut-il y voir une succession de dérapages non contrôlés dans un monde où tout va trop vite. Il faudra qu'on m'explique, je ne comprends plus rien, dans la même rue les agences d'intérim cherchent des bras, les délaissés tendent le leur pour une pièce. Voilà le constat, la fracture sociale c'est déjà de l'histoire ancienne, une autre campagne, il va falloir trouver autre chose. Le fossé s'est élargi, un gouffre nous sépare. Je rentre chez moi, m'assied sur mon canapé, le chat miaule, se frotte, il réclame toujours à manger, s'il savait ce qui se passe dehors !

Gérald Masnada