La Gazette du Canal n° 18 - Histoire

(hiver 1996/1997)

Le journal de tout le 10e arrondissement de Paris

L'histoire en creusant

L'archéologie nous conte l'histoire du 10e

Ici, pas de grande campagne de fouilles comme sous le parvis de Notre-Dame, pas de sensationnelle découverte : aucune pirogue néolithique comme à Bercy, ni casque d'or d'un quelconque chef gaulois, mais uniquement de menues découvertes, le plus souvent fortuites, qui nous aident cependant à retracer la constitution puis l'histoire de notre petit territoire du 10e à travers les millénaires.

Tout au commencement…

Lors de la dernière glaciation quaternaire, la volumineuse Seine se divise en deux bras : le cours sud correspond presque à la Seine actuelle, le cours nord trace un long arc de cercle dans les terres marécageuses au pied des collines du Nord. Il passe, en ce qui concerne le 10e, sous une partie du canal Saint-Martin, la place de la République, les rues du Château-d'Eau, et des Petites-Écuries, pour rejoindre le bras sud au niveau du futur pont de l'Alma. Son courant fougueux arrache d'énormes masses d'alluvions qui l'engorgent et le rendent stagnant, il devient alors le " bras mort " de la Seine. Appelé bien plus tard "le ru de Ménilmontant " il sert pendant des siècles d'exutoire aux nauséabondes eaux usées de Paris jusqu'à ce qu'en 1740 le prévôt des marchands, Michel-Étienne Turgot, père du célèbre ministre, le fasse voûter et qu'il devienne ainsi le premier grand collecteur parisien. Des vestiges de ce " Grand égout " ont été occasion-nellement retrouvés en de nombreux endroits de l'arrondissement au pied de la rue d'Hauteville, rue de Bondy, dans les rues des Faubourg-Saint-Denis et Saint-Martin, place de la République. Mais une bien belle légende veut que ce bras de la Seine soit devenu, plutôt qu'un égout putride, la poétique rivière de " la Grange-Batelière " qui coulerait encore souterrainement sous nos maisons.

À l'époque néolithique, la région, bien que forestière, est un immense marécage. Des ossements d'animaux des bois (cerfs, aurochs et daims) ont été retrouvés lors du creusement des fondations de la mairie en 1892. Dans la vase des marais, on a découvert en 1903 des coquilles terrestres et une faune de mollusques d'eaux stagnantes ; un peu plus tard en 1906, en procédant à la construction de la ligne n° 4 du métro à la jonction des boulevards de Denain et de Magenta, est apparue à 10,50 m, dans un banc de calcaire de Saint-Ouen, la mâchoire inférieure d'un pachyderme. Enfin, en 1994, sur un site délimité par les rues de Lancry, Jean-Poulmarch et Legouvé, une fouille de sauvetage a révélé des vestiges fauniques, ainsi qu'une soixantaine de tessons de céramique, une centaine d'outils lithiques et un poinçon en os appartenant à notre ancêtre préhistorique du 10e qui pratiquait sur ses terres la chasse, la pêche et l'agriculture.

Le 10e, passage obligé

À l'âge du bronze, la route de l'étain passe par notre territoire, le long d'un axe nord-sud. En 1841, tout près du 10e, dans le bassin de la Villette, on a mis au jour à 3 m de profondeur un casque en bronze, des outils et quelques bijoux.

Retranchés dans leur oppidum fortifié de l'île de la Cité, nos ancêtres gaulois, les Parisii, se sont frayés timidement des pistes à travers les bois et marécages de notre site, prémices des futures voies que les Romains, grands constructeurs, vont ensuite établir en créant deux routes parallèles très voisines et dont on discute encore la chronologie : - la première voie de Lutèce aux Flandres allant du pont Notre-Dame au boulevard Magenta par la rue du Faubourg-Saint-Martin. Sa haute antiquité a été prouvée par la découverte en 1844 et 1852 de sept routes superposées sur 2,5 m de profondeur : la première en macadam remontait aux Ier - IIIe siècles ap. J-C. Elle franchissait le bras nord de la Seine par un petit pont, dont une partie de l'arche, retrouvée rue du Château-d'Eau en 1892, subsisterait dans les fondations de la mairie selon son architecte Eugène Rouyer. - la seconde voie vers Rouen et Pontoise empruntait la rue Saint-Denis puis la rue du Faubourg-Saint-Denis. En 1832, des fouilles y ont mis au jour de grandes dalles romaines en grès semblables à celles trouvées rue Saint-Jacques où commençait cette route.

D'autres chemins d'origine préhistorique, antique ou médiévale traversaient également notre sol selon un tracé que l'on suit encore aujourd'hui dans les rues du Faubourg-Poissonnière vers Épinay, du Faubourg-du-Temple aux collines de Belleville et de la Grange-aux-Belles vers Meaux.

En passant par les portes royales

Pour se défendre, Paris au cours des siècles, s'entoure d'enceintes circulaires fortifiées, seule celle de Charles V a laissé des traces dans notre arrondissement où furent retrouvés en 1900 d'imposants piliers de la première porte Saint-Denis distante de quelques mètres de celle de Louis XIV édifiée par l'architecte Blondel. Du mur de l'octroi des Fermiers généraux qui encerclait, de 1787 à 1860, une partie de notre 10e, il ne reste après les travaux d'Haussmann et la construction du métro, qu'un seul témoin des barrières de Ledoux : la Rotonde de la Villette, qui telle une vestale, veille jalousement, au bord du canal Saint-Martin, sur les dépôts des fouilles archéologiques de Paris remisés, classés et restaurés dans son enceinte.

J'irai marcher sur vos tombes

Le premier cimetière de l'église Saint-Laurent d'abord situé à l'emplacement du presbytère, soit dans l'actuel petit square Saint-Laurent, où jouent si paisiblement aujourd'hui les enfants, n'a cessé de s'agrandir et les ossements des habitants du 10e de s'entasser jusqu'à 2,5 m de profondeur entre les rues de Strasbourg, du Faubourg-Saint-Denis, de la Fidélité et de Sibour. C'est à l'occasion de l'ouverture de cette rue en 1804 que des sacs d'ossements furent transportés par cinquantaines jusqu'en 1914 aux catacombes de Denfert-Rochereau où ils furent regroupés tous ensemble dans la crypte du " Piédestal de la lampe sépulcrale ", premier monument élevé dans les catacombes. Cette lampe entretenait un brasier activant la circulation de l'air dans les galeries (cf. carte postale p. 16).

Dans la chapelle du couvent des Récollets, on a trouvé en 1942 sous un carrelage, une cave voûtée contenant sept cercueils profanés, il semble que ce soit ceux des fondateurs et des bienfaiteurs du couvent. Peut-être empruntaient-ils, comme plus tard les frères Récollets, le passage souterrain qui reliait le couvent à l'église Saint-Laurent et de là gagnaient-ils l'église du couvent Saint-Lazare par un autre souterrain ? Cette hypothèse n'a pu être confirmée à ce jour, car il faudrait fouiller profondément sous les rues du Faubourg-Saint-Martin et du Faubourg-Saint-Denis et sous les boulevards de Magenta et de Strasbourg.

La ballade des pendus

En 1954, au cours de travaux dans le sous-sol d'un garage du 53, rue de la Grange-aux-Belles, on a découvert à 2,5 m de profondeur deux piliers, un pavage grossier et des ossements de personnes de sexe féminin, il s'agirait des ruines du gibet de Monfaucon et des restes de femmes condamnées à mort que l'on enterrait debout vivantes au pied du gibet, mort jugée plus décente que la pendaison qui finissait par les dénuder ! Notre arrondissement est plus que lié au gibet de Montfaucon car, en 1823, des blocs de pierre provenant du sinistre édifice furent employés dans la construction des parapets du canal Saint-Martin, près de l'écluse des Maures (et non des morts !). Aussi, si par un beau soir d'été, vous prenez le frais au bord du canal, entendez les mouettes qui ont remplacé les vautours du gibet vous chanter la " ballade du pendu " de François Villon :

" Frères humains qui après nous vivez
N'ayez les coeurs contre nous endurcis
Car, si pitié de nous pauvres avez
Dieu en aura plus tôt de vous mercis
…Mais, priez Dieu que tous nous veuille absoudre… "

Jeannine Christophe