La Gazette du Canal n° 17 - Actu

(automne 1996)

Le journal de tout le 10e arrondissement de Paris

Éditorial

Lorsque l'on se bat pour faire vivre son quartier, pour créer des liens, pour que chacun ait envie d'intervenir et de se sentir pleinement impliqué dans la vie de sa cité, il est difficile et rageant de se retrouver aujourd'hui menacé d'amendes et autres contraventions (voir article ci-contre). Un petit journal de quartier, animé par des bénévoles ; un journal qui publie ses comptes et n'a rien à cacher serait-il donc si gênant ?
Nous savons que notre seul tort est de déranger ceux qui pendant tant d'années ont pu faire tout ce qu'ils voulaient à Paris : détruire l'artisanat et le commerce populaire, bétonner et polluer, chasser les gens modestes en favorisant la spéculation immobilière, financer leurs campagnes électorales en magouillant des fausses factures, et pour finir, loger leurs familles dans les HLM.
Notre force, qui commence à agacer, est d'avoir des convictions qui ne sont pas issues d'une quelconque idéologie, mais de notre expérience d'habitants des quartiers et d'acteurs de la vie locale.
Face aux trafics de drogue ils nous disent depuis 30 ans : nous allons sortir la police et réprimer. Nous avons répondu : cela ne marche pas, essayons la légalisation sous contrôle médical des drogues dures. Face à la crise et à tous ses maux, ils montent des coups de force policiers pour désigner des boucs émissaires : les étrangers. Et nous vous invitons dans ce numéro à refuser la logique de la haine et à venir à la rencontre des résidents étrangers de notre arrondissement.
En un mot, nous vous demandons de continuer de résister avec nous : parce que le 10e que nous aimons, c'est celui de la diversité et de la fraternité  !

Hervé LATAPIE

(Responsable de la rédaction du journal depuis sa création en 1992, j'ai décidé d'abandonner cette lourde tâche pour retrouver un peu de temps libre, mais aussi pour permettre au journal de se renouveler. Je resterai bien entendu présent dans l'équipe)



La Gazette dans le collimateur
de la Mairie de Paris

Amende pour affichage sauvage, enquête préliminaire demandée par le parquet de Paris pour tenue d'une brocante « non autorisée » sur les rives du canal, le cabinet de M. Tibéri, maire de Paris s'intéresse décidément beaucoup à La Gazette du Canal. Récit d'un acharnement bien suspect.

Avons-nous eu le tort d'expliquer dans ces colonnes, en publiant nos comptes, que la tenue de la brocante annuelle de La Gazette du Canal nous apportait un revenu important qui nous donnait une marge financière appréciable ? Celle-ci nous permet ensuite de financer des activités déficitaires (le journal, lui, équilibre ses comptes) comme l'action en faveur de la légalisation sous contrôle médical de la drogue, la tenue de réunions publiques, la participation à des fêtes de quartier, ou des dons à d'autres associations, etc. Toujours est-il que la brocante du 12 mai dernier suscite beaucoup d'attention de la part des services municipaux et préfectoraux.

Acte 1 : Amende pour affichage sauvage

Nous avons d'abord eu la surprise de recevoir en juin un « constat d'affichage irrégulier » accompagné d'un recouvrement d'office de 4 404,19 F (autrement dit une amende). Renseignement pris, la Mairie de Paris a décidé de s'attaquer sérieusement à l'affichage sauvage. Chaque enlèvement coûtera désormais environ 2 500 F. La Gazette n'a pas eu de chance, le désaffichage a eu lieu un dimanche et c'est plus cher un jour férié !

Beaux joueurs, nous avons aussitôt sollicité la bienveillance de la Mairie de Paris et demandé l'intervention de notre député M. Marcus, par ailleurs adjoint au maire de Paris chargé de la publicité et de l'affichage… Il nous a été répondu qu'il nous fallait payer ; par définition, une petite association de quartier a tort. Pourtant cette nouvelle politique pose deux problèmes fondamentaux :
- Encore une fois la Mairie procède par intimidation sans engager ni concertation, ni même information. Nous avons été placés devant le fait accompli en recevant directement un « recouvrement d'office ». Un avertissement écrit n'aurait-il pas permis d'engager une discussion ? Le mot « négociation » est toujours tabou à l'Hôtel de Ville.
- Interdire totalement l'affichage est une atteinte manifeste à une liberté fondamentale pourtant inscrite dans la loi du 29 juillet 1881. Rien n'est fait à Paris pour faciliter l'expression démocratique. Supprimer l'affichage sauvage sans offrir en contrepartie de vrais panneaux en libre accès revient à accorder un privilège à ceux qui ont les moyens de s'offrir des emplacements publicitaires payants. Quant à l'affichage associatif sous vitrine, il est contrôlé par une société privée et nécessite plusieurs mois d'attente avant d'obtenir un emplacement. Il ne correspond absolument pas aux besoins des associations comme la nôtre.

En nous regroupant avec les autres associations de Paris victimes du même zèle dévastateur, nous allons engager une action pour défendre la liberté d'expression à Paris. A deux ans de la campagne des législatives (qui risque d'être animée dans nos arrondissements) la Mairie de Paris, risque de compliquer encore un peu plus la tâche des candidats de la majorité.

Acte 2 : La Gazette convoquée par la
brigade économique et financière

Notre trésorier, Hervé Latapie a été entendu durant plus d'une heure et demie le lundi 26 août par un lieutenant de police de la brigade économique et financière. Motif de cette audition : une enquête préliminaire du parquet de Paris à la demande de la Préfecture de police au sujet de la tenue de la brocante de La Gazette le 12 mai dernier… Nous sommes menacés d'une contravention pour avoir tenu cette brocante alors qu'elle n'aurait pas été autorisée. En fait, nous avions demandé deux mois à l'avance une autorisation, et ce n'est que l'avant-veille de la brocante, alors que nous avions engagé des frais et accepté plus de 150 inscriptions, que nous avions appris que le cabinet de M. Tibéri avait demandé l'interdiction (le commissariat du 10e et la préfecture de Paris avaient eux donné leur feu vert). La suite vous la connaissez, des policiers ont débarqué le matin au bord du Canal en tentant de convaincre les exposants de se retirer. Finalement, un peu avant 9 h du matin, le commandant recevait un contre-ordre de la Préfecture et nous annonçait que finalement la brocante était autorisée. Il nous est donc difficile de comprendre aujourd'hui ce que signifie cette enquête préliminaire.

Au moment de boucler le journal nous ne savons pas quelle sera la suite donnée par le parquet. Là encore, nous comptons bien nous défendre.

Que penser de ce qui ressemble bien à un acharnement ? Pourquoi les services municipaux consacrent-ils autant d'énergie pour gêner notre activité ? Et les services de la police financière n'ont-ils pas mieux à faire que de s'intéresser à une aussi petite association ? En privé, un policier des renseignements généraux nous confiait : « on ne sait pas ce que vous cherchez, vous ne vous présentez pas aux élections, vous n'êtes pas fichés à l'extrême gauche, ni ailleurs, et on vous voit beaucoup trop ». Charmante ambiance.



À Paris, à vélo ?

Monsieur Tibéri l'avait promis, monsieur Tibéri l'a fait. Un budget de 19 MF est investi cette année dans les couloirs cyclistes sur Paris, pour 50 km de pistes cyclables, dont la moitié sont déjà réalisées. Le 10e est largement concerné par cette opération. On a vu, pendant le mois d'août, se mettre en place un circuit qui remonte le boulevard de Strasbourg, longe la rue Saint-Laurent, remonte la rue du Faubourg-Saint-Martin, suit l'avenue de Verdun, débouche sur la rue du Terrage qu'elle remonte à contresens, tout comme la rue Robert-Blache. La piste se prolonge rue Eugène-Varlin, traverse le canal et remonte par le quai de Jemmapes jusqu'à Stalingrad, où le 19e prend le relais.

Vers le sud, on redescend par le quai de Valmy, jusqu'à la rue du Faubourg-du-Temple, avant d'arriver place de la République.

À priori, on ne peut qu'être enchanté d'un tel aménagement, qui présente un net progrès par rapport aux désastreuses expériences précédentes de la Ville et est globalement apprécié des cyclistes. C'est un projet qui va dans le bon sens, mais certains éléments soulèvent le doute. Cette opération, vendue comme une opération « verte » n'est-elle pas plutôt une opération de marketing très politique ? On peut se poser la question.

Les aménagements des quais, en site propre, sont en général considérés comme une bonne chose, car ils réduisent la largeur de circulation automobile et ralentissent le flux.

La méthode utilisée pose question. S'il y a eu communication, il y a eu manque certain de concertation. La mairie du 10e et les associations locales concernées avaient mis en place un comité consultatif sur la circulation qui devait rendre ses conclusions en septembre. Elle n'ont été informées que trois jours avant le début des travaux des modalités retenues.

Le projet réalisé pose des problèmes majeurs tant en terme de confort que de sécurité : pourquoi remonter le long du boulevard de Strasbourg, zone de grosse circulation automobile, où la pollution est maximale pour les cyclistes ? Pourquoi y avoir mis un couloir très étroit qui interdit le dépassement des cyclistes, et qui n'est même pas en site propre ? Il semblerait que cela permette de verbaliser les cyclistes qui sortent du couloir (une dizaine de PV en août). Par contre, le non-respect par les automobiles ne semble pas être condamné. Comment comprendre, comme j'ai pu le voir un jour, qu'un car de police se gare à cheval sur le couloir, à 5 mètres d'un panneau expliquant que c'est formellement interdit, pour aller chercher des croissants à la boulangerie ?

Il serait préférable que la remontée des rues du Terrage et Robert-Blache à contresens soit mise en site propre.

Les franchissements d'intersections ont été simplement ignorés, les « bittes molles » indiquant les ruptures de voie sont trop fragiles et devront être souvent remplacées, tout comme le marquage peint qui commence déjà à s'effacer aux feux sous l'effet des pneus. Qu'en sera-t-il dans 6 mois ?

Espérons que ce ne sont que quelques défauts de jeunesse du projet, et que la volonté de faire une place au vélo à Paris soit réelle et pas un simple coup de bluff médiatique vite abandonné, nous y serons vigilants.

Jean-Michel BERTHIER



Drogue : Quand le RPR se range à l'avis de
La Gazette du Canal

Mais pourquoi donc les rédacteurs du journal gratuit RPR Parisiens du 10e ont-ils tant de mal à prononcer le nom de La Gazette du Canal. Pour la deuxième fois en un an, ils nous consacrent un éditorial sans nous désigner directement. Nous sommes « cette autre publication qui paraît dans l'arrondissement », et ils précisent « on l'aime bien leur canard ». Plus loin ils nous qualifient de « concurrents », ce qui est un comble. Faudra-t-il apprendre à ces messieurs de la mouvance libérale ce que signifie « concurrence » ? A notre connaissance leur journal est un gratuit déposé sous les portes cochères et financé par les annonces publicitaires (on sait ce que cela veut dire  !).

Dans l'éditorial qui nous est consacré, ces messieurs font un effort, ils reconnaissent que l'analyse des problèmes de l'insécurité liée à la drogue qu'ils nous ont présentée pendant des années dans leur journal était erronée. Aujourd'hui ils expliquent qu'ils sont d'accord avec l'analyse de La Gazette du Canal, il ne peut pas y avoir de réponse uniquement sécuritaire au problème de la drogue. Tous ceux qui se souviennent des propos musclés du candidat Marcus en 1992 rigoleront : « en modifiant la réglementation sur les étrangers, et en replaçant la police sur le terrain, nous réglerons le problème en six mois ».

Rassurez-vous, les autres articles de Parisiens du 10e ont conservé leur coloration habituelle : vous avez droit à la version la plus « hard » du RPR.

Depuis que M. Marcus a perdu la mairie du 10e, sa nouvelle préoccupation est simple : rester coûte que coûte député. Il semble qu'il ait quelques inquiétudes à ce sujet, la perte de l'arrondissement n'a toujours pas été digérée par ses amis du RPR qui le verrait bien partir en retraite ! Lui se sent « à l'âge où certains font leurs débuts en politique ». Feuilleton à suivre dans les mois qui viennent.



Problèmes avec l'alcool ?

Parce qu'arrêter de boire peut être un départ pour vraiment vivre sa vie en paix, des hommes et des femmes s'entraident, jour après jour, par l'exemple et l'amitié respectueuse, au sein de l'association des Alcooliques anonymes

Depuis 12 ans celle-ci est présente 12, rue de l'Aqueduc près de la gare du Nord. Les réunions se tiennent le mardi de 18 h 30 à 20 h et le dimanche de 15 h à 17 h. Dans un premier temps lieu d'écoute, chacun peut s'exprimer sans être contredit après s'être présenté par un prénom. Dans un second temps, lieu de partage et d'accueil, ces réunions sont animées par un modérateur qui en présente le thème, donne la parole, soutient celui qui parle.

Le deuxième mardi et dimanche de chaque mois, la réunion est ouverte à toute personne accompagnant quelqu'un qui reconnaît avoir un problème avec l'alcool, ainsi qu'aux professionnels tels que médecins, journalistes. Afin que l'anonymat soit respecté, il n'y a ni inscription, ni adhésion.

Pour rester indépendants les Alcooliques anonymes ne reçoivent de dons ni des particuliers, ni des collectivités locales, c'est donc grâce à une collecte libre, effectuée au cours des réunions qu'il leur est possible de faire fonctionner le mouvement.

Une permanence téléphonique (01-43-25-75-00) permet de prendre éventuellement contact et de connaître les autres lieux de réunion à Paris et en province. Un lieu d'accueil est ouvert tous les jours de 9 h à 21 h au 3, rue Frédéric Sauton dans le 5e.

Marie-Hélène CAYLA



Le comité d'animation du
Canal Saint-Martin

Au début de cette année, Jean-Marie Bireaud lance l'idée de créer une association qui pourrait amplifier, coordonner et harmoniser les actions d'animations qui se déroulent sur le canal Saint-Martin piéton le dimanche.

La Gazette trouve l'idée intéressante, et nous travaillons sur le projet. L'idée d'une association regroupant largement les associations du quartier, des associations d'habitants aux compagnies artistiques en passant par le Club Recherche et Loisirs, semble le plus intéressant. Lors du Forum des associations à la Mairie du 10e du 24 février, nous annonçons le projet et diffusons une feuille d'inscription. Une trentaine d'associations et d'individus se sont inscrits.

La Gazette organise alors la réunion constitutive pour le 11 avril. Une dizaine d'associations et une vingtaines d'individus sont présents. Il apparaît vite qu'une réflexion supplémentaire est nécessaire. Les associations sont méfiantes, et si la grande majorité des participants trouve un intérêt évident à la mise en place d'une structure permanente d'animation du canal Saint-Martin, il n'est pas possible de dégager un consensus sur la forme que devrait prendre un tel outil.

Finalement, un groupe de travail, composé de personnes engagées individuellement, se charge d'approfondir les objectifs et la forme de cette structure d'animation, et en même temps, de mettre en place des actions concrètes.

On a pu voir le dimanche 30 juin, le canal en musique, avec la participation du Conservatoire du 10e arrondissement. Un concert de l'ensemble à vent du conservatoire, qui se compose d'une douzaine de musiciens a été suivi d'une parade de percussions du groupe Lapurata. Et pour finir, un concert de l'orchestre symphonique et des chanteurs du conservatoire a permis d'écouter des extraits d'opérette d'Offenbach très appréciés du nombreux public présent.

Les projets futurs du comité d'animation sont de se déclarer rapidement en association loi 1901 de personnes physiques, puisque les associations parisiennes se sont montrées réticentes à se fédérer sur ce projet. Celles qui souhaiteront participer à l'aventure pourront s'inscrire par l'intermédiaire d'un de leurs membres.

La prochaine action prévue est une journée « animation et théâtre de rue » le dimanche 6 octobre.

Jean-Michel BERTHIER

Contact : Jean-Marie Bireaud
Tél : 01.42.08.10.62



Un lecteur qui a une pêche d'enfer

Le 28 juin dernier, un de nos lecteur de province, car La Gazette est aussi lue en province, vient taquiner le poisson sur le canal. Il nous fait part de son expérience de pêche à Paris.

La pêche d'atmosphère ne peut se pratiquer que devant l'Hôtel du Nord. Pas dans l'écluse, c'est interdit : un peu en amont.

Obligé de passer toute une semaine à Paris, je me suis décidé à jeter ma ligne dans le canal Saint-Martin. J'étais en manque  ! L'eau du canal était lourde, verte, cachotière.

La pêche d'atmosphère naît de l'ambiance, naturellement. Cela fait une curieuse impression, au rythme du bouchon dérivant sur l'eau verte, d'entendre derrière soi la circulation tapageuse sans cesse réorientée par les feux de croisement ; au carrefour des deux quais, de la rue de Lancry que prolonge la Grange-aux-Belles, une fois franchi le pont tournant qui laisse fréquemment passer des nichées de touristes.

Bizarre de lever la tête et d'apercevoir, en face, des immeubles de six étages, à gauche, une passerelle métallique, à droite, l'Hôtel du Nord, dont il ne reste guère que la façade depuis qu'un immeuble de rapport s'est tapi derrière.

À ma grande surprise, j'ai vu soudain s'enfoncer le bouchon. J'ai ferré. C'était assez gros et ça ne se battait guère. J'ai tout de suite compris qu'il s'agissait d'une brême. Bien nommé, ce poisson plat qui vous enduit les doigts de glaire, comme une mauvaise carte au poker. Je l'ai rejetée à l'eau.

Bien que fasciné par le lent déplacement du flotteur sur l'eau tangible, j'étais conscient des remugles de gaz d'échappement et me traitais intérieurement de drogué. Pêcher dans le canal Saint-Martin  ! Quand on revendique le grand calme des campagnes profondes  !

De temps en temps, je jetais un coup d'oeil sur le flotteur de la canne à moulinet que j'avais installée également plus par habitude que par conviction, car je ne pensais pas avoir la moindre chance d'attraper une truite ou une carpe dans ces eaux urbaines. Soudain, le bouchon frémit, s'enfonça, émerga, plongea de nouveau. Sans hâte, je commençais à mouliner, persuadé qu'il s'agissait de nouveau d'une brême - la même peut-être. Mais le fil se tendit avec une telle force que ma curiosité s'éveilla. Je tirai un peu, pour tester la résistance de la bête. J'eus l'impression d'avoir accroché la carcasse d'un camion dissimulée par les eaux fermées. Mais ça tentait de s'échapper : c'était bel et bien vivant.

L'atmosphère, ce fut aussi, bientôt, un attroupement d'une douzaine de personnes m'encourageant du geste et de la voix, tandis que je luttais lentement avec le monstre des profondeurs - les images d'une bande dessinée de Tardi me montèrent à la mémoire.
Le puissant poisson restait collé au fond, si bien que j'étais incapable de l'identifier, se contentant de tirer dans un sens, puis dans l'autre, de tenter un départ foudroyant avant de faire le mort, de tout son poids.

Peu à peu, je réussis à rembobiner tout mon fil. Juste sous la surface du canal, je voyais s'agiter un long poisson tacheté. Et brusquement, la tête émergea : une gueule carrée hérissée d'un millier de petites dents.

J'allais saisir mon épuisette quand j'entendis : « Attendez, je vais vous aider  ! ». Le petit homme, que j'avais aperçu pêchant à quelques encablures, glissa habilement le filet sous le poisson qui, à présent, se débattait en surface. Un effort et le poisson fut sur le quai.

Je n'en crus pas mes yeux : un silure glane  ! J'avais attrapé un silure dans le canal Saint-Martin  ! J'étais estomaqué et ravi. De ma vie, je ne comptais jamais ferrer cet animal qui envahit peu à peu tous les fleuves de France, et qui peut atteindre 90 kg pour une longueur de 2, 30 m. et un tour de taille d'un mètre.

« Il est magnifique », dit le petit pêcheur, en transe. C'est la première fois qu'il en voyait un de près, lui aussi. Il ignorait qu'il y en avait dans le canal où il pêchait pourtant chaque jour à la bonne saison.

J'avais l'intention de rejeter le silure à l'eau, mais le regard brillant du petit homme m'en dissuada. « Vous le voulez ? » dis-je. J'eus l'impression de lui faire un cadeau somptueux.

Ma fringale de pêche était comblée. Je pouvais difficilement rêver plus belle prise. Je rangeai mon attirail.

Avant de partir, je me tournai vers l'autre pêcheur pour lui faire un signe d'adieu. Il ne me vit pas, trop occupé à se faire photographier, brandissant à bout de bras le silure, aussi haut que lui.

Christian POSLANIEC