La Gazette du Canal n° 16 - Actu

(été 1996)

Le journal de tout le 10e arrondissement de Paris

Éditorial

Ouf, voilà enfin l'été. Avec un numéro léger comme une brise de printemps. C'est peut-être le plus insolite. Mais l'insolite n'est-il pas somme toute une simple question de regard ?
La Gazette est bien bien fatiguée  !

Il faut dire que ce début d'année a été assez copieux pour nous tous : organisation des débats, lancement de l'appel de la porte Saint-Denis et de ses suites, brocante du Canal, tout cela est beaucoup pour une petite équipe de volontaires qui ont d'autres chats à fouetter par ailleurs (gamins pour les uns, gamines pour d'autres, recherche de la formule (al)chimique ultime, organisation de la fête finale, ou encore pissenlits par les racines carrées, relecture intégrale du "Mond'Dip", comment arriver enfin à prendre des vessies pour des lanternes sans se brûler, et autres empapaoutages dyptériques mais pas exclusivement… Bref, tout un tas de ces réflexions existentielles et activités essentielles ( ?) au quotidien de tout un chacun).
Alors, cette petite parenthèse annuelle traditionnelle va encore être la bienvenue, histoire de recharger les batteries, faire le point, choisir nos priorités pour l'année à venir - eh oui, nous réglons toujours notre calendrier sur celui de l'école. De grands enfants, vous dis-je  !
Il y a une chose que nous savons déjà, le dossier de la rentrée sera consacré aux étrangers dans le 10e.
Ah, nous allions oublier ; modernité oblige, La Gazette « monte sur l'Internet », comme on dit. Merci au CICV de Montbéliard (oh, monde virtuel  !) qui nous héberge temporairement.
Rendez-vous fin septembre pour le numéro 17.



À la porte Saint-Denis : « Lutte contre la drogue - degré zéro  ! »

Les habitants de la porte Saint-Denis et du passage du Prado, qui sont coauteurs avec La Gazette de « l'appel de la porte Saint-Denis » expliquent, par la voix de leur présidente, leur quotidien et les raisons de leur participation à cet appel.

Il y a six ans déjà…

Cela commence comme dans un conte de fées, seulement, pour nous - habitants du 10e - cela tourne au cauchemar  ! Cela fait six ans en effet que le commerce de la drogue s'est donné rendez-vous sur le boulevard Saint-Denis. Flagrant et scandaleux dès le matin jusqu'à tard dans la nuit, ce commerce génère une insécurité permanente pour les habitants du quartier, avec agressions verbales et physiques, parfois armées.

Malgré les incalculables démarches entreprises depuis six ans par la population du quartier auprès de la mairie, de la préfecture, des médias, avec preuves à l'appui - vidéos, photos, etc. - aucune amélioration sensible n'a pu être constatée. Un espoir pourtant, une réunion fut organisée le 29 janvier par la mairie du 10e avec la participation de la préfecture de police, de la mairie de Paris, du commissariat, des associations et des habitants du quartier.

Le 16 avril dernier, La Gazette du Canal et l'association des Amis du passage du Prado et de la porte Saint-Denis décident de lancer « l'appel de la porte Saint-Denis », manifeste lu à 18 h au pied de la porte, lors d'un rassemblement regroupant les habitants, la presse et des élus. Cette manifestation s'est reproduite le 15 mai, et se reproduira le 15 juin à 17 heures.

Le 13 mai dernier, au cours d'une séance du Conseil de Paris, les maires du 3e, Pierre Aidenbaum, du 10e, Tony Dreyfus, le conseiller de Paris, Pierre Schapira et les membres du groupe socialiste ont posé la question au préfet de police.

Le projet de réponse donné en termes d'effectifs, de brigades et de nombre d'interpellations reste encore peu convaincant en ce qui concerne la prévention et le dialogue avec les habitants. Ces efforts sont trop timides devant la gravité de la situation.

Les habitants constatent que les contrôles restent sans effet. On remarque que les descentes de police s'intensifient maintenant autour du milieu du mois. Mais elles semblent étrangement se tromper de cible. à faire systématiquement des descentes chez les commerçants (surtout les étrangers) du quartier, on risque de les faire passer au yeux de leurs clients pour des criminels ou des complices. On arrête bien quelques étrangers en situation irrégulière, mais plus souvent impliqués dans le textile que dans la drogue. Quel intérêt y a-t-il à perturber ainsi la vie commerciale du quartier quand des dealers notoires restent sur le trottoir à regarder la scène ?

Comment expliquer alors que le commerce de la drogue s'intensifie de jour en jour ? Comment accepter qu'une mère inquiète par l'agression subie par sa fille se voie inviter par un représentant des forces de l'ordre « pour leur bien » à partir au lieu d'être mieux protégées ? Pourquoi tout un quartier est-il laissé à la dérive, et comment ne pas s'inquiéter de la propagation du mal dans d'autres quartiers ?

Il est urgent d'agir :

- en instituant une réelle politique de prévention.

- en assurant une présence policière efficace à court terme pour disloquer ce marché honteux.

- en créant des services médicaux pour les toxicomanes

Il est urgent pour les habitants de retrouver calme et confiance dans leur quartier.

Miranda SKOULATOU



Jardin Villemin et politique de la ville

Le jardin Villemin revient sur le devant de la scène. Son réaménagement, le financement, les projets de construction de la crêche et de l'îlot Récollets-Lucien-Sampaix troublent et inquiètent plus d'une personne dans le quartier. La transparence est encore peu entrée dans les faits.

Dans le cadre de la politique de la ville et du plan de développement social urbain (DSU), le maire de Paris est autorisé par le conseil de Paris à signer une convention avec la région Île-de-France.

Voici un extrait du projet de délibération du 13 mai 96 :

« Porte Saint-Denis/porte Saint-Martin - 10e arrondissement

Ce vaste site de développement social urbain s'étend de part et d'autre du boulevard de Strasbourg et présente les difficultés d'un quartier en pleine mutation économique, confronté à la coexistence de différentes catégories de populations inquiétées par les problèmes de développement de la délinquance et de l'insécurité liée à la drogue et à la prostitution.

Peu aéré, il pourrait bénéficier du réaménagement et de l'extension du parc Villemin qui offrirait un espace de promenade et de détente important.

La contribution de la Région s'étendrait à la restauration, à la rénovation des aires de jeux du parc Villemin et à son extension. Les contours précis du projet seront définis en concertation avec les partenaires locaux. »

Une fausse bonne nouvelle : le jardin sera agrandi. Cet agrandissement concerne en fait les 1 000 m2 gagnés sur la crèche et pas les 3 000 m2 sur lesquels la SINVIM doit construire en bordure du canal et dont la destination est toujours en suspens. En effet, la Ville vient de proroger le permis de construire pour une durée d'un an. Cependant le conseil d'arron-dissement a émis un voeu (du 20/05/96) que ce terrain soit réservé pour l'agrandissement du jardin.

Une mauvaise nouvelle : les crédits affectés à la transformation du jardin Villemin seront pris sur ceux du plan de développement social urbain (DSU).

Pour un budget d'environ 100 millions de francs dans le 10e arrondissement, le plan de DSU a pour objectif d'apporter une solution à de nombreux problèmes (santé, insertion, accompagnement social, jeunesse, délinquance, amélioration de l'habitat, traitement des copropriétés dégradées…)

Les crédits affectés au jardin Villemin (9 312 000 F HT) seront pris sur ce budget.

Environ un dixième du budget du plan de DSU sera donc consacré au jardin Villemin, alors que ce dernier est situé en dehors du périmètre de DSU et que sa transformation n'aidera que peu à l'insertion des immigrés (budget de l'État : environ 142 000 F pour le 10e) et n'influera que très peu sur la prévention de la délinquance (budget de l'État : environ 1 000 000 F pour le 10e).

Les crédits consacrés au jardin Villemin seraient plus utilement affectés à d'autres postes du DSU. Resterait alors à trouver une autre ligne budgétaire pour transformer le jardin ; cela doit être possible.

Jean Marandon


Et, en contrepoint, un cri du coeur adressé aux décideurs, qui sont parfois si loin du terrain.

Il était une fois un jardin, votre jardin, le seul espace vert au coeur du 10e.

Ce poumon vert est aujourd'hui tout juste assez grand pour supporter cette déferlante de petits, de moyens et de grands qui viennent s'y oxygéner.

Prenez un dimanche de printemps vers 16 heures : les parents sortent les petits, les anciens se promènent, les 10-13 ans jouent à se poursuivre en enjambant les tulipes, les ados révisent leurs examens, les célibataires lisent, d'autres jouent au ping-pong, au basket ou au foot sur des terrains imaginaires adaptés à leur taille.

Les hommes sont à la pétanque, vous en avez même qui « tapent le carton ». Sur nos 4 700 m2, on s'y installe, on y discute ou on y joue, bref, on y vit.

Or, ATTENTION DANGER, il est question aujourd'hui de le réaménager, notre jardin.

Le réaménager, d'accord, mais pas n'importe comment.

Pas en l'amputant de sa plus grande moitié pour y dessiner un square à la française aux beaux parterres de fleurs interdits aux jeux.

Pas en confinant la zone ludique autorisée dans un tiers restant du jardin.

Mesdames et Messieurs, architectes des Bâtiments de France, élus et chargés des Parcs et jardins de la Ville de Paris, venez passer un dimanche après-midi dans notre jardin, venez le vivre avec nous et vous rendre compte.Vous rendre compte que récupérer du terrain (selon un voeu de la mairie du 10e entre autres) sur les logements que vous voulez bâtir dans le cadre du projet de la SINVIM n'est pas un luxe ; vous rendre compte que seul le bon sens doit nous dicter le dessin du futur jardin des Récollets.

Un bon sens qui préfère voir nos enfants jouer sur une pelouse plutôt que de traîner dans les rues.

Nadia SAHMI



Remous sur la brocante du Canal

Ce matin du 12 mai à 6 heures, il fait froid pour la saison, mais tout semble bien parti pour la deuxième brocante organisée par La Gazette du Canal

Il y a bien un fonctionnaire de police qui nous annonce que nous n'avons pas d'autorisation. Mais il a l'air si gentil, et comme il s'intéresse à notre action sur le quartier, ce qu'il nous dit n'entame pas notre bonne humeur. Jusqu'au moment où des renforts de police viennent s'en prendre aux exposants.

Des différents protagonistes de cette journée, celui qui est le dindon de la farce n'est peut être pas celui que l'on croit.

La police

Elle est sûrement la plus à plaindre, tellement gênée d'avoir à nous expulser, une manifestation si pacifique. Mais les ordres sont les ordres : un premier tour pour prévenir les participants que la brocante est interdite et que l'amende est de 900 francs, un second tour pour verbaliser les récalcitrants qui ne veulent pas partir. Mais les contre-ordres sont les ordres : à peine le premier tour terminé un message radio annonce aux autorités que la manifestation est finalement autorisée. Nos braves policiers rempochent leurs carnets à souches et disparaissent, non sans nous avoir fait part discrètement de leur soulagement.

La crédibilité de la police sort renforcée après ce genre d'intervention  !

La préfecture de police et la mairie de Paris

Pour une telle manifestation, nous demandons comme il se doit et largement à l'avance des autorisations à différents services administratifs.

La mairie de Paris, qui oeuvre dans l'intérêt des parisiens, la préfecture de police chargée de la circulation, le service des canaux responsable des berges, se renvoient allègrement la responsabilité d'une autorisation sans donner de réponse claire sur ce qu'il nous est possible de faire.

Ce n'est que trois jours avant la manifestation que nous avons appris la non autorisation, et la veille de la brocante, nous avions obtenu un accord tacite de non intervention.

Mais bientôt les beaux jours, et les manifestations organisées par la Ville de Paris à grands renforts de budgets importants et de publicité, n'auront pas de problèmes d'autorisations.

Le service des canaux

Apparemment irrité par notre présence sur les berges, il n'a pas pu s'empêcher ce dimanche là de faire des essais de vitesse avec la barge d'entretien sur un bassin rempli au maximum, sans se soucier si les remous provoqués faisaient déborder le canal sur les exposants.

Les participants

Pour la plupart (80 % habitent le quartier ou les arrondissement limitrophes) heureux de se retrouver sur les berges de leur canal, ils n'ont pas compris l'attitude des pouvoirs publics, quelques (rares) vendeurs sont partis, en nous exprimant tous leurs regrets, mais la plupart sont restés prêts à soutenir notre association jusqu'au bout. Une personne m'a dit avoir commencé à faire circuler une pétition auprès des participants pour nous soutenir. Ceci est le signe que ce type de manifestation est apprécié par les habitants et qu'il serait mal venu de les empêcher systématiquement. En tant qu'organisateurs nous remercions tout ceux qui spontanément ont été solidaires ce matin là.

Les élus de la mairie du 10e

Leur soutien et leur bonne volonté n'ont pas empêché que les policiers tentent d'interdire la brocante le matin.

L'association La Gazette du Canal

Plus que jamais décidée à être acteur de la vie de son quartier. Une « situation » comme celle-ci nous renforce dans l'idée que la vie de quartier est avant tout l'affaire de ceux qui l'habitent.

Nous ne nous arrêterons pas là, et chaque interdiction ou absence d'autorisations nous renforce dans l'idée qu'il y a beaucoup de choses à faire pour améliorer la vie de notre cité.

Rappelons que les premiers « canal piétons » à l'initiative de notre petite équipe n'ont jamais obtenu la moindre autorisation, et que maintenant cette réalisation s'inscrit dans un projet parisien de rues piétonnes, ce qui nous réjouis. Notre politique à toujours été la coopération avec les autorités locales de bonne volonté.

À 18 heures tout le monde remballe dans la bonne humeur. Les habitants veulent renouveler ce genre de rencontre plus souvent, vivre autrement dans leur quartier. Pour cela nous ne manquerons pas de créer de nouvelles occasions.

Jean-Baptiste LEYMARIE